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Nik Marcel (2Language Books)

Thursday, 25 October 2018

Zhuangzi Inner Chapters (French)


The Inner Chapters of Chuang Tzu
Les Chapitres intérieurs de Tchoang-tzeu
(French)
Author: Zhuangzi (Chuang Tzu) (3rd Century BCE)
French Translator: Léon Wieger 1913
Translator/Editor: Nik Marcel 2017
English translated from French.
Copyright © 2018 Nik Marcel
All rights reserved.
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2Language Books

Les Chapitres intérieurs de Tchoang-tzeu

Chapitre 1

Vers l’idéal:
A. S’il faut en croire d’anciennes légendes, dans l’océan septentrional vit un poisson immense, qui peut prendre la forme d’un oiseau.
Quand cet oiseau s’envole, ses ailes s’étendent dans le ciel comme des nuages.
Rasant les flots, dans la direction du Sud, il prend son élan sur une longueur de quatre cent cinquante kilomètres; puis s’élève sur le vent à la hauteur de treize mille cinq cents kilomètres, dans l’espace de six mois.
Que peut-on voir là-haut, dans le ciel bleu?
Est-ce une troupe de chevaux sauvages qui courent?
Est-ce de la matière pulvérulente qui voltige?
Sont-ce les souffles qui donnent naissance aux êtres?
Et l’azur, est-il le ciel lui-même?
Ou n’est-ce que la couleur du lointain infini, dans lequel le ciel, l’être personnel des Annales et des Odes, se cache?
Et, de là-haut, voit-on cette terre? et sous quel aspect? Mystères!
Quoi qu’il en soit, s’élevant du vaste océan, et porté par une grande masse de l’air — capable de soutenir son immensité —, le grand oiseau plane à une altitude prodigieuse.
Une cigale à peine éclose, et un tout jeune pigeon, l’ayant vu, rirent du grand oiseau et dirent: — À quoi bon s’élever si haut? Pourquoi s’exposer ainsi?
— Nous nous contentons de voler de branche en branche, sans sortir de la banlieue; quand nous tombons par terre, nous ne nous faisons pas mal; chaque jour, sans fatigue, nous trouvons notre nécessaire.
— Pourquoi aller si loin? Pourquoi monter si haut? Les soucis n’augmentent-ils pas, en proportion de la distance et de l’élévation?
B. Quelques remarques à propos de ces deux petites bêtes, sur un sujet dépassant leur compétence:
Un petit esprit ne comprend pas ce qu’un grand esprit embrasse.
Une courte expérience ne s’étend pas aux faits éloignés.
Le champignon qui ne dure qu’un matin ne sait pas ce que c’est qu’une lunaison.
L’insecte qui ne vit qu’un été n’entend rien à la succession des saisons.
Ne demandez pas, à des êtres éphémères, des renseignements sur la grande tortue, qui est âgé de cinq cents ans.
Ne leur demandez pas des renseignements sur le grand arbre dont la durée de vie est de huit mille années.
Même le vieux P’eng-tsou ne vous dira rien de ce qui dépasse les huit siècles que la tradition lui prête.
À chaque être, sa formule de développement propre.
C. Il est des hommes presque aussi bornés que les deux petites bêtes susdites.
Ne comprenant que la routine de la vie vulgaire, ceux-là ne sont bons qu’à être des leaders communautaires, ou des maires des petites villes, tout au plus.
Maître Joung de Song fut supérieur à cette espèce, et plus semblable au grand oiseau.
Il fut également indifférent à la louange et au blâme. S’en tenant à son propre jugement, il ne se laissa pas influencer par l’opinion des autres. Il ne distingua jamais entre la gloire et la disgrâce. Il fut libre des liens des préjugés humains.
Maître Lie de Tcheng fut supérieur à Maître Joung, et encore plus semblable au grand oiseau.
Son âme s’envolait sur l’aile de la contemplation, parfois pour quinze jours, laissant son corps inerte et insensible.
Il fut presque libre des liens terrestres; pas tout à fait, pourtant, car il lui fallait attendre le rapt extatique: un reste de dépendance.
Supposons maintenant un homme entièrement absorbé par l’immense giration cosmique, et se mouvant dans ce néant infini.
Celui-là ne dépendra plus de rien. Il sera parfaitement libre, dans ce sens que son moi et son action seront unies au moi et à l’action du grand Tout.
Aussi dit-on très justement: le sur-homme n’a plus de soi propre; l’homme transcendant n’a plus d’action propre; et le Sage n’a plus même un nom propre — car il est un avec le Tout.
D. Jadis l’empereur Yao voulut céder l’empire à son ministre Hu-You.
Il lui dit: — Quand le soleil ou la lune rayonnent, on éteint le flambeau. Quand la pluie tombe, on met de côté l’arrosoir. C’est grâce à vous que l’empire prospère. Pourquoi devrais-je rester sur le trône? Veuillez y monter!
— Merci, dit Hu-You; veuillez y rester! C’est sous votre règne que l’empire a prospéré. Que m’importe, à moi, mon renom personnel? Une branche, dans la forêt, suffit à l’oiseau pour se loger. Un petit peu d’eau, bue à la rivière, désaltère le rat. Je n’ai pas plus de besoins que ces petits êtres. Restons à nos places respectives, vous et moi.
Ces deux hommes atteignirent à peu près le niveau de Maître Joung de Song. L’idéal taoïste est plus élevé que cela!
Un jour Kien-ou dit à Lien-chou: — J’ai entendu Tsie-u dire des choses exagérées, extravagantes…
— Qu’a-t-il dit? demanda Lien-chou.
— Il a dit que, dans la lointaine île Kou-chee, habitent des hommes transcendants, blancs comme la neige et frais comme des enfants, lesquels ne prennent aucune sorte d’aliments, mais aspirent le vent et boivent la rosée.
Ils se promènent dans l’espace, les nuages leur servant de chars et les dragons de montures. Par l’influx de leur transcendance, ils préservent les hommes des maladies, et provoquer la maturation des moissons.
Ce sont là évidemment des folies. Donc, je n’y ai pas cru.
Lien-chou répondit: — L’aveugle ne voit pas, parce qu’il n’a pas d’yeux. Le sourd n’entend pas, parce qu’il n’a pas d’oreilles. Vous n’avez pas compris Tsie-u, parce que vous n’avez pas d’esprit. Les sur-hommes dont il a parlé existent. Ils possèdent même des vertus bien plus merveilleuses que celles que vous venez d’énumérer.
Mais, pour ce qui est des maladies et des moissons, ils s’en occupent si peu, que, l’empire tombât-il en ruines et tout le monde leur demandât-il secours, ils ne s’en mettraient pas en peine, tant ils sont indifférents à tout…
Le sur-homme n’est atteint par rien. Un déluge universel ne le submergerait pas. Une conflagration universelle ne le consumerait pas. Tant il est élevé au-dessus de tout. De ses rognures et de ses déchets, on ferait des Yao et des Chounn. Et cet homme-là s’occuperait de choses menues, comme sont les moissons, et le gouvernement d’un État? Allons donc!
Chacun se figure l’idéal à sa manière. Pour le peuple de Song, l’idéal, c’est d’être bien vêtu et bien coiffé; pour le peuple de Ue, l’idéal, c’est d’avoir une tête rasée et des tatouages.
L’empereur Yao se donna beaucoup de peine, et s’imagina avoir régné idéalement bien.
Après qu’il eut visité les quatre Maîtres, dans la lointaine île de Kou-chee, il reconnut qu’il avait tout gâté.
L’idéal, c’est l’indifférence du sur-homme, qui laisse tourner la roue cosmique.

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