Meditations Books 1-6
Pensées pour moi-même
(Thoughts to Myself)
(French)
Author: Marcus
Aurelius 170-180
French Translator:
Jules Barthélemy-Saint-Hilaire 1876
Translator/Editor: Nik Marcel 2018
English translated from French.
Copyright
© 2018 Nik Marcel
All
rights reserved.
A Bilingual (Dual-Language) Project
2Language Books
Méditations Livres 1-6
Pensées pour moi-même
Livre 1
I Exemples que j’ai reçus de mon grand-père Vérus, qui ne connaît pas la
colère: la bonté et la douceur.
II Du père qui m’a donné la vie: la modestie et la
virilité, au moins si je m’en rapporte à la réputation qu’il a laissée et au
souvenir personnel qui m’en reste.
III De ma mère: la piété et la générosité;
l’habitude de s’abstenir non pas seulement de faire le mal, mais même d’en
concevoir jamais la pensée; et aussi, la simplicité de vie, si loin du faste
ordinaire des gens opulents.
IV À mon arrière-grand-père, je suis redevable de
n’avoir pas fréquenté les écoles publiques, d’avoir profité dans ma maison des
leçons d’excellents maîtres, et d’avoir appris par moi-même que, pour
l’éducation des enfants, il ne faut ménager aucune dépense.
V À mon précepteur, de n’avoir jamais été de la
faction des Verts ou des Bleus, ni de celle des Petits-boucliers ou des
Grands-boucliers; il m’a montré aussi à endurer la fatigue, à restreindre mes
besoins, à faire beaucoup par moi-même, à diminuer le nombre des affaires, et à
n’accueillir que très difficilement les dénonciations.
VI À Diognète, j’ai dû de ne pas m’appliquer à des
riens; de ne jamais croire à tout ce que les sorciers et les charlatans
débitent de leurs incantations et des conjurations de démons, ni à tant
d’autres inventions aussi fausses.
Je lui ai dû encore de ne pas me plaire à élever
des cailles de combat, et de ne pas me passionner pour ces puérilités; de
savoir supporter la franchise de ceux qui me parlent; d’avoir développé le goût
de la philosophie; d’avoir suivi d’abord les leçons de Bacchius, puis ensuite
celles de Tandasis et de Marcien; d’avoir composé des dialogues dès mon
enfance, et de m’être fait une joie du grabat, du simple cuir, et de tous les
ustensiles dont se compose la discipline des philosophes grecs.
VII À Rusticus, j’ai dû de m’apercevoir que j’avais
à redresser et à surveiller mon humeur; de ne pas me laisser aller aux
engouements de la sophistique; de ne pas écrire sur les sciences spéculatives;
de ne pas déclamer de petits sermons vaniteux; de ne pas chercher à frapper les
imaginations en m’affichant comme un homme plein d’activité ou de bienfaisance;
de me défendre de toute rhétorique, de toute poésie et de toute affectation
dans le style.
Je lui dois encore de n’avoir pas la sottise de me
promener en robe traînante à la maison, et de s’abstenir de semblables
habitudes; d’écrire ma correspondance sans aucune prétention, dans le genre de
la lettre qu’il écrivit lui-même de Sinuesse à ma mère.
Il m’a montré aussi à être toujours prêt à
l’appeler ou à accueillir ceux qui m’avaient chagriné ou négligé, dès le moment
qu’ils étaient eux-mêmes disposés à réconcilier; à toujours apporter grande
attention à mes lectures, et à ne pas me contenter de comprendre à demi ce que
je lisais; à ne pas acquiescer trop vite aux propositions qui m’étaient faites.
Enfin, je lui dois d’avoir connu les Commentaires
d’Epictète, qu’il me prêta de sa propre bibliothèque.
VIII D’Apollonius, j’ai appris à avoir l’esprit
libre et à être ferme sans hésitation; à ne regarder jamais qu’à la raison,
sans en dévier un seul instant; à conserver toujours une parfaite égalité d’âme
contre les douleurs les plus vives, la perte d’un enfant par exemple, ou les longues
maladies.
J’ai vu clairement en lui, par un exemple vivant,
qu’une même personne peut être à la fois pleine de résolution et de facilité;
et qu’on peut n’être pas rude en enseignant.
Il m’a donné le spectacle éclatant d’un homme qui
regarde comme la moindre de ses qualités de savoir transmettre la science à
autrui, avec une rare expérience et tout en courant.
C’est lui encore qui m’a appris l’art de recevoir
des faveurs de mes amis, sans en être diminué, et sans y paraître insensible
quand je ne croyais pas devoir les accepter.
IX De Sextus, j’ai appris ce que c’est que la
bienveillance, une famille paternellement gouvernée et le vrai sens du précepte
‘Vivre selon la nature’; la gravité sans prétention; la sollicitude qui devine
les besoins de nos amis; la patience à supporter les fâcheux et leurs propos
irréfléchis.
J’ai pu observer la faculté de s’entendre si bien
avec tout le monde que son simple commerce semblait plus agréable que ne peut
l’être aucune flatterie, et que ceux qui l’entretenaient n’avaient jamais plus
de respect pour lui que dans ces rencontres; l’habileté à saisir, à trouver,
chemin faisant, et à classer les préceptes nécessaires à la pratique de la vie;
le soin de ne jamais montrer d’emportement ni aucune autre passion excessive; le
talent d’être à la fois le plus impassible et le plus affectueux des hommes; la
capacité de dire du bien des gens mais sans bruit; enfin une instruction
immense sans ostentation.
X Par l’exemple d’Alexandre le grammairien, j’ai
appris à ne jamais choquer les gens, à ne les pas heurter par une brusquerie
blessante pour un barbarisme qu’ils auraient commis, pour une tournure fautive
ou une prononciation vicieuse qui leur aurait échappé; mais à m’arranger
adroitement dans la conversation pour que le mot qui aurait dû être choisi
d’abord reparût, en guise de réponse ou de confirmation, en donnant mon avis
sur la chose sans se référer à l’expression malheureuse, ou en faisant
soigneusement un détour pour dissimuler l’allusion.
XI Grace à Fronton, j’ai pu observer qu’un tyran
peut ressentir une extrême jalousie, et peut être extrêmement hypocrite et
trompeur, et que ceux que nous appelons Patriciens ont, pour la plupart, peu de
bonté et d’affection dans le cœur.
XII D’Alexandre le Platonicien, j’ai appris à ne
pas dire aux gens à tout propos et sans nécessité, quand je leur parle ou que
je leur réponds par lettre: ‘Je n’ai pas le temps’; et à ne pas décliner
constamment, (par cette facile excuse,) mes devoirs divers envers ceux qui
vivent avec moi, en alléguant que j’ai des affaires urgentes à traiter.
XIII De Catulus, j’ai appris à ne jamais négliger
les plaintes d’un ami, même quand il se plaint sans motif, mais à tout essayer
pour l’adoucir et pour rétablir l’ancienne intimité.
Il m’a appris aussi à louer mes maîtres de tout
cœur, comme avaient coutume de le faire, à ce qu’il rapportait, Domitius et
Athénodote; et à ressentir pour mes enfants le dévouement le plus sincère.
XIV De mon frère Sévérus, j’ai appris à aimer la
famille, à aimer le vrai, à aimer le juste; grâce à lui, j’ai apprécié
Thraséas, Helvidius, Caton, Dion et Brutus; j’ai pu me faire l’idée de ce que
serait un État où régnerait une égalité complète des lois, avec l’égalité des
citoyens jouissant de droits égaux; et l’idée d’une royauté qui respecterait
par-dessus tout la liberté des sujets.
C’est lui qui m’a appris à me consacrer résolument
à la philosophie; à être bienfaisant; à donner sans me lasser; à garder
toujours bonne espérance; à faire confiance à l’affection de mes amis; à ne
plus rien cacher à ceux qui s’étaient réconciliés, après leur pardon; à ne pas
forcer mes intimes, sans cesse inquiets, à se demander: ‘Que veut-il? Que ne
veut-il pas?’, mais à être toujours net et franc avec eux.
XV De Maxime, j’ai appris ce que c’est que d’être
maître de soi; de ne jamais rester indécis; de supporter de bon cœur toutes les
épreuves, y compris les maladies; de tempérer son caractère par un mélange
d’aménité et de tenue; d’exécuter sans marchander toutes les obligations qu’on
a; d’inspirer à tout le monde la conviction que, quand on parle, on dit
toujours ce qu’on pense, et que, quand on agit, on a l’intention de bien faire;
de ne s’étonner de rien; de ne pas se troubler; de ne jamais se presser ni se
laisser aller à l’indolence; de ne jamais se déconcerter dans le désespoir en
s’abandonnant soi-même et en s’anéantissant; ou de ne pas reprendre trop
subitement du courage et une confiance exagérée; d’être serviable et prompt à
l’indulgence; en un mot, de donner de soi plutôt l’idée d’un homme qui ne
change pas que celle d’un homme qui se réforme, de quelqu’un dont jamais
personne n’a dû croire être dédaigné, et à qui personne ne s’est jamais cru
supérieur; enfin de tâcher d’être amical envers tout le monde.
XVI De mon père adoptif, j’ai appris la bonté;
l’inébranlable constance dans les jugements qui ont été mûris par la réflexion;
le dédain pour ces honneurs factices qui séduisent la vanité; la passion du
travail; l’application perpétuelle; la disposition à prêter l’oreille à toutes
les idées qui concernent l’intérêt public; la capacité inébranlable à rendre à
chacun selon son mérite; le discernement à juger des occasions où l’on doit
tendre les ressorts et de celles où on peut les relâcher; la sévérité à
poursuivre et à punir les amours pour les jeunes gens; le dévouement au bien de
l’Etat.
J’ai pu observer la liberté qu’il laissait à ses
amis, sans les astreindre nécessairement à partager tous ses repas, ou à le
suivre dans tous ses voyages; l’absolue égalité d’humeur, même quand il
rencontrait des gens après une longue absence; la consciencieuse analyse des
choses dans toutes les délibérations; la persistance à ne pas se départir de
son examen, en se contentant des premières solutions qui se présentaient; le
dévouement à ses amis — aussi peu porté à se dégoûter d’eux sans raison qu’à
les aimer avec ferveur; l’indépendance d’esprit en toutes choses, et la
sérénité; la prévoyance à longue vue et la vigilance à régler les moindres
détails, sans en faire tragiquement étalage; la précaution de repousser les
acclamations populaires et la flatterie sous toutes ses formes; l’économie à
ménager les ressources nécessaires à la gouvernance; la retenue dans les
dépenses pour les fêtes, tout prêt à souffrir les critiques sur ce chapitre; la
piété sans superstition envers les dieux; le respect pour le peuple, qu’il ne
fatigua jamais de ses adulations ni de son empressement à complaire à la foule;
la sobre mesure en toutes choses; le solide respect de toutes les convenances,
sans un goût trop vif pour les nouveautés; l’usage, sans faste et aussi sans
façon, des choses qui rendent la vie plus douce, dans les occasions où c’est le
hasard qui les offre, les prenant quand elles se trouvaient sous la main avec
indifférence, et n’en ayant nul besoin, si elles venaient à manquer; l’attitude
de quelqu’un dont on ne peut dire ni qu’il est un sophiste, ni qu’il est un
provincial, ni qu’il est entiché de la scolarité, mais d’un homme dont on dit
qu’il est mûr et complet, au-dessus de la flatterie, capable de gérer ses
affaires propres, et des affaires des autres.
Ajoutez-y encore l’estime pour les vrais
philosophes; l’indulgence exempte de blâme pour les philosophes prétendus, sans
d’ailleurs être jamais leur dupe; le commerce facile; la bonne grâce sans
fadeur; un soin modéré de sa personne, comme il convient quand on n’est pas
trop amoureux de la vie, sans songer à rehausser ses avantages, mais aussi sans
négligence, de manière à n’avoir presque jamais besoin, grâce à ce régime tout
individuel, ni de médecine, ni de remèdes intérieurs ou extérieurs; la facilité
extrême à s’effacer, sans jalousie, devant les gens qui s’étaient acquis une
supériorité quelconque, soit en éloquence, soit en connaissance approfondie des
lois, des mœurs, et des matières de cet ordre; la condescendance qui
s’associait à leurs efforts pour les faire valoir, chacun dans leur domaine
spécial; la fidélité en toutes choses aux traditions des ancêtres, sans
d’ailleurs vouloir se donner l’air d’y tenir; un esprit qui n’était ni mobile,
ni agité, mais sachant endurer la monotonie des lieux et des choses; reprenant
les occupations habituelles, dès que le permettaient les maux de tête cruels,
avec plus d’ardeur et de vivacité que jamais; n’ayant pas beaucoup de secrets
qui lui appartinssent, et ces secrets en très petit nombre et fort rares ne
concernant guère que l’Etat; circonspect et très regardant dans la célébration
des fêtes solennelles, dans le développement des travaux publics, dans les
distributions au peuple; et quand il les croyait nécessaires, ayant en vue ce
que la convenance exigeait bien plutôt que le renom qu’il en pourrait retirer
pour ce qu’il aurait fait; ne prenant jamais de bains hors des heures
régulières; sans passion pour les bâtisses; ne songeant nullement à la
composition de ses repas, ni à la qualité ou à la couleur de ses habits, ni à
la beauté de ses gens.
Ses vêtements étaient faits de la laine de Lorium,
sa petite ferme, et aussi de la laine de Lanuvium; le manteau qu’il portait à
Tusculum avait été emprunté; et toute sa façon était aussi simple.
Jamais rien de dur, rien même de brusque, rien de
pressé, et comme dit le proverbe: ‘Jamais jusqu’à la sueur’; mais toute chose
faite avec pleine réflexion, comme à loisir, sans le moindre trouble, dans un
ordre absolu, robustement, et en harmonieux accord avec toutes les parties.
C’est bien à lui que s’applique cette louange
adressée jadis à Socrate: ‘qu’il savait s’abstenir et jouir de ces choses dont
la plupart des hommes ne s’abstiennent qu’à contrecœur, et dont ils jouissent
en s’y abandonnant avec ivresse.’
Demeurer fort dans l’une et l’autre rencontre,
conserver constamment sa vigueur et sa tempérance, n’appartient qu’à l’homme
qui a l’âme ferme et invincible, comme fut mon père durant la maladie de
Maxime.
XVII Je dois aux Dieux d’avoir eu de bons aïeuls,
de bons parents, une bonne sœur, de bons maîtres, des serviteurs, des proches,
des connaissances, et des amis, qui tous étaient bons également presque sans
exception.
À l’égard d’aucun d’eux, je ne me suis jamais
laissé aller à quelque inconvenance, bien que par disposition naturelle je
fusse assez porté à commettre des fautes de ce genre; mais la clémence des
Dieux a voulu qu’il ne se rencontrât jamais un tel concours de circonstances
qui pût révéler en moi ce mauvais penchant.
Grâce à eux encore, j’ai pu ne pas rester trop longtemps
chez la concubine de mon grand-père; j’ai pu sauver la fleur de ma jeunesse,
sans prouver ma virilité avant le bon moment; j’ai pu même sous ce rapport
gagner un peu de temps; vivre sous l’autorité d’un prince et d’un père qui a pu
déraciner tout orgueil en moi, et m’amener à être convaincu qu’on peut, tout en
vivant dans un palais, n’avoir nul besoin ni de gardes, ni de costumes
éclatants, ni de lampes, ni de statues, ni de tout ce faste inutile, et qu’on
peut toujours s’arranger pour se rapprocher le plus possible de la condition
privée, sans avoir pour cela plus de timidité ou de faiblesse quand il faut
donner des ordres au nom de l’intérêt public.
Les Dieux m’ont aussi donné un frère dont le
caractère était fait pour éveiller ma vigilance sur moi-même, et qui en même
temps faisait mon bonheur par la confiance et l’affection qu’il me montrait.
Grâce à eux aussi, je n’ai pas éprouvé le malheur
d’avoir des enfants gênants ou contrefaits; je ne suis pas allé au-delà du
nécessaire en ce qui concerne la Rhétorique, la Politique, et tant d’autres
études où j’aurais peut-être été retenu plus que de raison, si j’avais trouvé
que j’y fisse de faciles progrès.
Je me suis hâté d’élever tous les maîtres qui
m’avaient éduqué aux honneurs qu’ils me semblaient désirer, et je ne les ai pas
bercés de l’espoir que, puisqu’ils étaient jeunes encore, ce ne serait que plus
tard que je m’occuperais d’eux.
Les Dieux m’ont accordé la faveur de connaître
Apollonius, Rusticus, et Maxime, qui m’ont donné l’idée claire et lumineuse de
ce que doit être la vie selon la nature, et qui souvent m’en ont offert
l’exemple dans toute sa réalité.
De telle sorte que, du côté des Dieux, par leurs
bienfaits, leurs secours et leurs inspirations, rien ne me manque pour vivre
comme la nature le veut, et que, si je suis encore loin du but, je ne puis m’en
prendre qu’à moi-même de n’avoir pas écouté leurs conseils, et je pourrais
répéter leurs leçons.
Si mon corps a supporté jusqu’à cette heure les
exigences d’une telle vie; si je n’ai touché ni à Bénédicta, ni à Théodote — ce
sont sans doute des noms de serviteurs attachés à l’intérieur du palais —; si
plus tard, livré aux passions de l’amour, j’ai pu m’en guérir; si dans mes
fréquentes colères contre Rusticus, je n’ai jamais rien fait que je regrette;
si ma mère, qui devait mourir dans la fleur de sa jeunesse, a pu cependant
passer ses dernières années avec moi; si jamais dans les occasions où j’ai
voulu secourir quelqu’un dans un besoin d’argent ou dans tout autre embarras,
je ne me suis entendu répondre que je ne pouvais avoir les fonds nécessaires à
mon dessein; si jamais nécessité pareille de recevoir quelque chose d’autrui
n’a pesé à moi; si ma femme est d’une nature modeste, affectueuse et simple; si
j’ai pu rencontrer tant d’excellentes personnes pour l’éducation de mes
enfants; si des remèdes m’ont été révélés dans mes songes, particulièrement
contre les crachements de sang et les vertiges, à Gaëte tout comme à Chryse;
si, dans ma passion pour la philosophie, je ne suis pas tombé aux mains de
quelque sophiste; si je ne me suis pas entêté sur les ouvrages de quelque
écrivain, ou sur la solution des syllogismes, ou sur la recherche des
phénomènes célestes; tant d’avantages ne peuvent venir qu’avec l’aide des Dieux
et des grâces qu’ils daignent accorder.
Écrit chez les Quades, au bord du rivière Granoua.
End of Preview
No comments:
Post a Comment