Perrault’s Stories
Les Contes de
Perrault
(French)
Author: Charles
Perrault
Translator: Charles
Welsh
Translator/Editor:
Nik Marcel 2014
English translated from French.
Copyright
© 2018 Nik Marcel
All
rights reserved.
A Bilingual (Dual-Language) Project
2Language Books
Les Contes
de Perrault
La Belle au Bois Dormant
Il était une fois un Roi et une Reine qui étaient si fâchés de n’avoir
point d’enfants, si fâchés qu’on ne saurait dire.
Ils allèrent à toutes les eaux du monde, vœux, pèlerinages, menues
dévotions; tout fut mis en œuvre, et rien n’y faisait.
Enfin pourtant la Reine devint grosse, et accoucha d’une fille: on fit
un beau Baptême; on donna pour Marraines à la petite Princesse toutes les Fées
qu’on pût trouver dans le Pays (il s’en trouva sept), afin que chacune d’elles
lui faisant un don, comme c’était la coutume des Fées en ce temps-là, la
Princesse eût par ce moyen toutes les perfections imaginables.
Après les cérémonies du Baptême toute la compagnie revint au Palais du
Roi, où il y avait un grand festin pour les Fées.
On mit devant chacune d’elles un couvert magnifique, avec un étui d’or
massif, où il y avait une cuiller, une fourchette, et un couteau de fin or,
garni de diamants et de rubis.
Mais comme chacun prenait sa place à table, on vit entrer une vieille
Fée qu’on n’avait point priée parce qu’il y avait plus de cinquante ans qu’elle
n’était sortie d’une Tour et qu’on la croyait morte, ou enchantée.
Le Roi lui fit donner un couvert, mais il n’y eut pas moyen de lui
donner un étui d’or massif, comme aux autres, parce que l’on n’en avait fait
faire que sept pour les sept Fées.
La vieille crut qu’on la méprisait, et grommela quelques menaces entre
ses dents.
Une des jeunes Fées qui se trouva auprès d’elle l’entendit, et jugeant
qu’elle pourrait donner quelque fâcheux don à la petite Princesse, alla, dès
qu’on fut sorti de table, se cacher derrière la tapisserie, afin de parler la
dernière, et de pouvoir réparer autant qu’il lui serait possible le mal que la
vieille aurait fait.
Cependant les Fées commencèrent à faire leurs dons à la Princesse.
La plus jeune lui donna pour don qu’elle serait la plus belle du monde,
celle d’après qu’elle aurait de l’esprit comme un Ange, la troisième qu’elle
aurait une grâce admirable à tout ce qu’elle ferait, la quatrième qu’elle
danserait parfaitement bien, la cinquième qu’elle chanterait comme un
Rossignol, et la sixième qu’elle jouerait de toutes sortes d’instruments à la
perfection.
Le rang de la vieille Fée étant venu, elle dit en branlant la tête,
encore plus de dépit que de vieillesse, que la princesse se percerait la main
d’un fuseau, et qu’elle en mourrait.
Ce terrible don fit frémir toute la compagnie, et il n’y eut personne
qui ne pleurât.
Dans ce moment la jeune Fée sortit de derrière la tapisserie, et dit
tout haut ces paroles:
«Rassurez-vous, Roi et Reine, votre fille n’en mourra pas; il est vrai
que je n’ai pas assez de puissance pour défaire entièrement ce que mon ancienne
a fait.
La Princesse se percera la main d’un fuseau; mais au lieu d’en mourir,
elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout
desquels le fils d’un Roi viendra la réveiller.»
Le Roi, pour tâcher d’éviter le malheur annoncé par la vieille, fit
publier aussitôt un Edit, par lequel il défendait à tous de filer au fuseau, ni
d’avoir des fuseaux chez soi sous peine de mort.
Au bout de quinze ou seize ans, le Roi et la Reine étant allés à une de
leurs Maisons de plaisance, il arriva que la jeune Princesse courant un jour
dans le Château, et montant de chambre en chambre, alla jusqu’au haut d’un
donjon dans un petit galetas, où une bonne Vieille était seule à filer sa
quenouille.
Cette bonne femme n’avait point entendu parler des défenses que le Roi
avait faites de filer au fuseau.
«Que faites-vous là, ma bonne femme? dit la Princesse.
Je file, ma belle enfant, lui répondit la vieille qui ne la connaissait
pas.
Ha! que cela est joli, reprit la Princesse, comment faites-vous?
Donnez-moi que je voie si j’en ferais bien autant.»
Elle n’eut pas plus tôt pris le fuseau, que comme elle était fort vive,
un peu étourdie, et que d’ailleurs l’Arrêt des Fées l’ordonnait ainsi, elle
s’en perça la main, et tomba évanouie.
La bonne vieille, bien embarrassée, crie au secours: on vient de tous
côtés, on jette de l’eau au visage de la Princesse, on la délace, on lui frappe
dans les mains, on lui frotte les tempes avec de l’eau de la Reine de Hongrie;
mais rien ne la faisait revenir.
Alors le Roi, qui était monté au bruit, se souvint de la prédiction des
fées, et jugeant bien qu’il fallait que cela arrivât, puisque les fées
l’avaient dit, fit mettre la Princesse dans le plus bel appartement du Palais,
sur un lit en broderie d’or et d’argent.
On eût dit d’un Ange, tant elle était belle; car son évanouissement
n’avait pas ôté les couleurs vives de son teint: ses joues étaient incarnates,
et ses lèvres comme du corail; elle avait seulement les yeux fermés, mais on
l’entendait respirer doucement, ce qui montrait bien qu’elle n’était pas morte.
Le Roi ordonna qu’on la laissât dormir, jusqu’à ce que son heure de se
réveiller fût venue.
La bonne Fée qui lui avait sauvé la vie, en la condamnant à dormir cent
ans, était dans le Royaume de Mataquin, à douze mille lieues de là, lorsque
l’accident arriva à la Princesse; mais elle en fut avertie en un instant par un
petit Nain, qui avait des bottes de sept lieues (c’était des bottes avec
lesquelles on faisait sept lieues d’une seule enjambée).
La Fée partit aussitôt, et on la vit au bout d’une heure arriver dans un
chariot tout de feu, traîné par des dragons.
Le Roi lui alla présenter la main à la descente du chariot. Elle
approuva tout ce qu’il avait fait; mais comme elle était grandement prévoyante,
elle pensa que quand la Princesse viendrait à se réveiller, elle serait bien
embarrassée toute seule dans ce vieux Château.
Voici ce qu’elle fit: elle toucha de sa baguette tout ce qui était dans
ce Château (hors le Roi et la Reine), Gouvernantes, Filles d’Honneur, Femmes de
Chambre, Gentilshommes, Officiers, Maîtres d’Hôtel, Cuisiniers, Marmitons,
Galopins, Gardes, Suisses, Pages, Valets de pied; elle toucha aussi tous les
chevaux qui étaient dans les Ecuries, avec les Palefreniers, les gros mâtins de
basse-cour, et Pouffe, la petite chienne de la Princesse, qui était auprès
d’elle sur son lit.
Dès qu’elle les eut touchés, ils s’endormirent tous, pour ne se
réveiller qu’en même temps que leur Maîtresse, afin d’être tout prêts à la
servir quand elle en aurait besoin: les broches mêmes qui étaient au feu toutes
pleines de perdrix et de faisans s’endormirent, et le feu aussi.
Tout cela se fit en un moment; les Fées n’étaient pas longues à leur
besogne.
Alors le Roi et la Reine, après avoir embrassé leur chère enfant sans
qu’elle s’éveillât, sortirent du Château, et firent publier des défenses à qui
que ce soit d’en approcher.
Ces défenses n’étaient pas nécessaires, car il crût dans un quart
d’heure tout autour du parc une si grande quantité de grands arbres et de
petits, de ronces et d’épines entrelacées les unes dans les autres, que bête ni
homme n’y aurait pu passer: en sorte qu’on ne voyait plus que le haut des Tours
du Château, encore n’était-ce que de bien loin.
On ne douta point que la fée n’eût encore fait là un tour de son métier,
afin que la princesse, pendant qu’elle dormirait, n’eût rien à craindre des
Curieux.
Au bout de cent ans, le Fils du Roi qui régnait alors, et qui était
d’une autre famille que la Princesse endormie, étant allé à la chasse de ce
côté-là, demanda ce que c’était que ces Tours qu’il voyait au-dessus d’un grand
bois fort épais; chacun lui répondit selon qu’il en avait ouï parler.
Les uns disaient que c’était un vieux Château où il revenait des
Esprits; les autres que tous les Sorciers de la contrée y faisaient leur
sabbat.
La plus commune opinion était qu’un Ogre y demeurait, et que là il
emportait tous les enfants qu’il pouvait attraper, pour pouvoir les manger à
son aise, et sans qu’on le pût suivre, ayant seul le pouvoir de se faire un
passage au travers du bois.
Le Prince ne savait qu’en croire, lorsqu’un vieux Paysan prit la parole,
et lui dit:
«Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que j’ai entendu dire de mon
père qu’il y avait dans ce Château une Princesse, la plus belle du monde; qu’elle
devait y dormir cent ans, et qu’elle serait réveillée par le fils d’un Roi, à
qui elle était réservée.»
Le jeune Prince à ce discours se sentit tout de feu; il crut sans
hésiter qu’il mettrait fin à une si belle aventure; et poussé par l’amour et
par la gloire, il résolut de voir sur-le-champ ce qu’il en était.
A peine s’avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces
ronces et ces épines s’écartèrent d’eux-mêmes pour le laisser passer:
il marcha vers le Château qu’il voyait au bout d’une grande avenue où il
entra, et ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l’avait
pu suivre, parce que les arbres s’étaient rapprochés dès qu’il avait été passé.
Il continua donc son chemin: un Prince jeune et amoureux est toujours
vaillant.
Il entra dans une grande avant-cour où tout ce qu’il vit d’abord était
capable de le glacer de crainte: c’était un silence affreux, l’image de la mort
s’y présentait partout, et ce n’était que des corps étendus d’hommes et
d’animaux, qui paraissaient morts.
Il reconnut pourtant bien au nez bourgeonné et à la face vermeille des
Suisses qu’ils n’étaient qu’endormis, et leurs tasses, où il y avait encore
quelques gouttes de vin, montraient assez qu’ils s’étaient endormis en buvant.
Il passe une grande cour pavée de marbre, il monte l’escalier, il entre
dans la salle des Gardes qui étaient rangés en haie, l’arme sur l’épaule, et
ronflants de leur mieux.
Il traverse plusieurs chambres pleines de Gentilshommes et de Dames,
dormant tous, les uns debout, les autres assis;
il entre dans une chambre toute dorée, et il vit sur un lit, dont les
rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu’il eût jamais
vu: une Princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat
resplendissant avait quelque chose de lumineux et de divin.
Il s’approcha en tremblant et en admirant, et se mit à genoux auprès
d’elle.
Alors comme la fin de l’enchantement était venue, la Princesse
s’éveilla; et le regardant avec des yeux plus tendres qu’une première vue ne
semblait le permettre: «Est-ce vous, mon Prince? Lui dit-elle, vous vous êtes
bien fait attendre.»
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