Meditations Books 1-6
Pensées pour moi-même
(Thoughts to Myself)
(French to English)
Author: Marcus
Aurelius 170-180
French Translator:
Jules Barthélemy-Saint-Hilaire 1876
Translator/Editor: Nik Marcel 2018
English translated from French.
Copyright
© 2018 Nik Marcel
All
rights reserved.
A Bilingual (Dual-Language) Project
2Language Books
Méditations Livres 1-6
Meditations Books 1-6
Pensées pour moi-même
Thoughts
to Myself
Livre 1
Book 1
I Exemples que j’ai reçus de mon grand-père Vérus, qui ne connaît pas la
colère: la bonté et la douceur.
I
Models that I received from my grandfather Verus, who is not affected by anger:
goodness and gentleness.
II Du père qui m’a donné la
vie: la modestie et la virilité, au moins si je m’en rapporte à la réputation
qu’il a laissée et au souvenir personnel qui m’en reste.
II
From the father who gave me life: modesty and manliness, at least if I rely on
the reputation that he left, and on the personal memory that I have of him.
III De ma mère: la piété et la
générosité; l’habitude de s’abstenir non pas seulement de faire le mal, mais
même d’en concevoir jamais la pensée; et aussi, la simplicité de vie, si loin
du faste ordinaire des gens opulents.
III
From my mother: piety and generosity; the habit of refraining not only from
doing evil, but even from ever conceiving the thought of it; and also, the
simplicity of life, so far from the ordinary pomp of opulent people.
IV À mon arrière-grand-père,
je suis redevable de n’avoir pas fréquenté les écoles publiques, d’avoir
profité dans ma maison des leçons d’excellents maîtres, et d’avoir appris par
moi-même que, pour l’éducation des enfants, il ne faut ménager aucune dépense.
IV
To my great-grandfather, I am indebted for not having attended public schools,
for having profited from the lessons of excellent teachers at home, and for having
learned for myself that, for the education of children, no expense must be
spared.
V À mon précepteur, de n’avoir
jamais été de la faction des Verts ou des Bleus, ni de celle des
Petits-boucliers ou des Grands-boucliers; il m’a montré aussi à endurer la
fatigue, à restreindre mes besoins, à faire beaucoup par moi-même, à diminuer
le nombre des affaires, et à n’accueillir que très difficilement les
dénonciations.
V
To my tutor, for never having been of the faction of the Greens or the Blues,
nor that of the Small-shields or the Great-shields. He also showed me how to
endure fatigue, to limit my needs, to do much by myself, to reduce the number
of affairs, and to welcome denunciations only with difficulty.
VI À Diognète, j’ai dû de ne
pas m’appliquer à des riens; de ne jamais croire à tout ce que les sorciers et
les charlatans débitent de leurs incantations et des conjurations de démons, ni
à tant d’autres inventions aussi fausses.
VI
To Diognetus, I was indebted for not applying myself to trivial things; for
never believing in all that sorcerers and charlatans uttered about their
incantations and conjurations of demons, nor in so many other equally false
inventions.
Je lui ai dû encore de ne pas
me plaire à élever des cailles de combat, et de ne pas me passionner pour ces
puérilités; de savoir supporter la franchise de ceux qui me parlent; d’avoir
développé le goût de la philosophie; d’avoir suivi d’abord les leçons de
Bacchius, puis ensuite celles de Tandasis et de Marcien; d’avoir composé des
dialogues dès mon enfance, et de m’être fait une joie du grabat, du simple
cuir, et de tous les ustensiles dont se compose la discipline des philosophes
grecs.
I
was also indebted to him for not enjoying raising fighting quails, and for not
having a passion for these puerilities; for knowing how to tolerate the
frankness of those who speak to me; for developing the taste for philosophy;
for following at first the lessons of Bacchius, and then those of Tandasis and
Marcien; for composing dialogues from my childhood, and for making a delight of
the simple wooden bed, of simple leather, and of all the utensils that comprise
the discipline of the Greek philosophers.
VII À Rusticus, j’ai dû de
m’apercevoir que j’avais à redresser et à surveiller mon humeur; de ne pas me laisser
aller aux engouements de la sophistique; de ne pas écrire sur les sciences
spéculatives; de ne pas déclamer de petits sermons vaniteux; de ne pas chercher
à frapper les imaginations en m’affichant comme un homme plein d’activité ou de
bienfaisance; de me défendre de toute rhétorique, de toute poésie et de toute
affectation dans le style.
VII.
To Rusticus, I was indebted for realising that I had to straighten and keep
watch over my mood; for not yielding to the passions of sophistry; for not
writing about the speculative sciences; for not declaiming little vain sermons;
for not seeking to capture people’s imaginations by portraying myself as a man
full of activity or benevolence; for refraining from all rhetoric, from all
poetry, and from all affectation in style.
Je lui dois encore de n’avoir
pas la sottise de me promener en robe traînante à la maison, et de s’abstenir
de semblables habitudes; d’écrire ma correspondance sans aucune prétention,
dans le genre de la lettre qu’il écrivit lui-même de Sinuesse à ma mère.
I
am still indebted to him for not being so silly as to wander about in my
trailing robe at home, and for refraining from similar habits; for writing my
correspondence without any pretension, in the style of the letter that he
himself wrote to my mother from Sinuessa.
Il m’a montré aussi à être
toujours prêt à l’appeler ou à accueillir ceux qui m’avaient chagriné ou
négligé, dès le moment qu’ils étaient eux-mêmes disposés à réconcilier; à
toujours apporter grande attention à mes lectures, et à ne pas me contenter de
comprendre à demi ce que je lisais; à ne pas acquiescer trop vite aux
propositions qui m’étaient faites.
He
also showed me to be always ready to send for, or to welcome, those who had
grieved or ignored me, as soon as they were themselves inclined to reconcile;
to always pay great attention to my reading, and to not be content with half
understanding what I was reading; to not agree too quickly to the proposals
that were made to me.
Enfin, je lui dois d’avoir
connu les Commentaires d’Epictète, qu’il me prêta de sa propre bibliothèque.
Finally,
I am indebted to him for becoming acquainted with the commentaries of
Epictetus, which he lent me from his own library.
VIII D’Apollonius, j’ai appris
à avoir l’esprit libre et à être ferme sans hésitation; à ne regarder jamais
qu’à la raison, sans en dévier un seul instant; à conserver toujours une
parfaite égalité d’âme contre les douleurs les plus vives, la perte d’un enfant
par exemple, ou les longues maladies.
VIII
From Apollonius, I learned to have a free spirit and to be firm without
hesitation; to look only at reason, without deviating from it for a single
moment; to always preserve a perfect evenness of soul against the most acute
pains, the loss of a child for example, or long illnesses.
J’ai vu clairement en lui, par
un exemple vivant, qu’une même personne peut être à la fois pleine de
résolution et de facilité; et qu’on peut n’être pas rude en enseignant.
I
have seen clearly in him, as a living example, that the same person may be both
full of resolution and easiness; and that one cannot be uncouth in teaching.
Il m’a donné le spectacle
éclatant d’un homme qui regarde comme la moindre de ses qualités de savoir
transmettre la science à autrui, avec une rare expérience et tout en courant.
He
gave me the brilliant spectacle of a man who regards knowing how to transmit
knowledge to others — with a rare experience and while rushing about — as the
least of his qualities.
C’est lui encore qui m’a
appris l’art de recevoir des faveurs de mes amis, sans en être diminué, et sans
y paraître insensible quand je ne croyais pas devoir les accepter.
It
was he again who taught me the art of receiving favours from my friends,
without being belittled by them, and without appearing insensitive to them when
I did not believe that I had to accept them.
IX De Sextus, j’ai appris ce
que c’est que la bienveillance, une famille paternellement gouvernée et le vrai
sens du précepte ‘Vivre selon la nature’; la gravité sans prétention; la
sollicitude qui devine les besoins de nos amis; la patience à supporter les
fâcheux et leurs propos irréfléchis.
IX
From Sextus, I learned what benevolence is, a paternally governed family, and
the true meaning of the precept ‘Live according to nature’; seriousness without
pretention; the attentiveness that divines the needs of our friends; patience
to put up with meddlers and their unreflective remarks.
J’ai pu observer la faculté de
s’entendre si bien avec tout le monde que son simple commerce semblait plus
agréable que ne peut l’être aucune flatterie, et que ceux qui l’entretenaient
n’avaient jamais plus de respect pour lui que dans ces rencontres; l’habileté à
saisir, à trouver, chemin faisant, et à classer les préceptes nécessaires à la
pratique de la vie; le soin de ne jamais montrer d’emportement ni aucune autre
passion excessive; le talent d’être à la fois le plus impassible et le plus
affectueux des hommes; la capacité de dire du bien des gens mais sans bruit;
enfin une instruction immense sans ostentation.
I
was able to observe the faculty of getting on so well with everybody that his
simple dealings seemed more agreeable than any flattery could be, and that
those who conversed with him never had more respect for him than during these
encounters; the ability to grasp, to find, along the way, and to classify the
precepts necessary for the practice of life; the sensitivity to never display
anger nor any other excessive passion; the talent of being both the most
impassive and the most affectionate of men; the capacity to speak well of
people but without fuss; finally an immense education without ostentation.
X Par l’exemple d’Alexandre le
grammairien, j’ai appris à ne jamais choquer les gens, à ne les pas heurter par
une brusquerie blessante pour un barbarisme qu’ils auraient commis, pour une
tournure fautive ou une prononciation vicieuse qui leur aurait échappé; mais à
m’arranger adroitement dans la conversation pour que le mot qui aurait dû être
choisi d’abord reparût, en guise de réponse ou de confirmation, en donnant mon
avis sur la chose sans se référer à l’expression malheureuse, ou en faisant
soigneusement un détour pour dissimuler l’allusion.
X
Through the example of Alexander the grammarian, I learned never to shock
people, to not offend them by a hurtful abruptness for a barbarism they would
have committed, for an incorrect turn of phrase or a brutal pronunciation that
would have slipped out; but to adroitly arrange myself in the conversation so
that the word that ought to have been chosen first, reappears, by way of answer
or confirmation, by giving my opinion on the thing without making reference to
the unfortunate expression, or by carefully taking a detour in order to conceal
the allusion.
XI Grace à Fronton, j’ai pu
observer qu’un tyran peut ressentir une extrême jalousie, et peut être
extrêmement hypocrite et trompeur, et que ceux que nous appelons Patriciens
ont, pour la plupart, peu de bonté et d’affection dans le cœur.
XI
Thanks to Fronton, I was able to observe that a tyrant can feel extreme
jealousy, and can be extremely hypocritical and deceitful, and that those whom
we call patricians have, for the most part, little kindness and affection in
the heart.
XII D’Alexandre le
Platonicien, j’ai appris à ne pas dire aux gens à tout propos et sans
nécessité, quand je leur parle ou que je leur réponds par lettre: ‘Je n’ai pas
le temps’; et à ne pas décliner constamment, (par cette facile excuse,) mes
devoirs divers envers ceux qui vivent avec moi, en alléguant que j’ai des
affaires urgentes à traiter.
XII
From Alexander the Platonist, I learned not to say to people constantly and
without necessity, when I speak to them or respond to them by letter: “I do not
have the time”; and to not constantly decline, (by this easy excuse,) my
various duties towards those who live with me, by alleging that I have urgent
matters to attend to.
XIII De Catulus, j’ai appris à
ne jamais négliger les plaintes d’un ami, même quand il se plaint sans motif,
mais à tout essayer pour l’adoucir et pour rétablir l’ancienne intimité.
XIII.
From Catulus, I learned never to neglect the complaints of a friend, even when
he complains without motive, but to try everything to soften him and restore
the former intimacy.
Il m’a appris aussi à louer
mes maîtres de tout cœur, comme avaient coutume de le faire, à ce qu’il
rapportait, Domitius et Athénodote; et à ressentir pour mes enfants le
dévouement le plus sincère.
He
also taught me to praise my masters wholeheartedly, as was customary to do, as
was reported of Domitius and Athenodotus; and to feel the most sincere devotion
for my children.
XIV De mon frère Sévérus, j’ai
appris à aimer la famille, à aimer le vrai, à aimer le juste; grâce à lui, j’ai
apprécié Thraséas, Helvidius, Caton, Dion et Brutus; j’ai pu me faire l’idée de
ce que serait un État où régnerait une égalité complète des lois, avec
l’égalité des citoyens jouissant de droits égaux; et l’idée d’une royauté qui
respecterait par-dessus tout la liberté des sujets.
XIV
From my brother Severus, I learned to love family, to love the truth, to love
the righteous; thanks to him, I have appreciated Thrasea, Helvidius, Cato, Dion
and Brutus; I was able to conceive of what might be a state where there would
be complete equality of laws, with equality among citizens enjoying equal
rights; and the idea of a royalty that would above all respect the freedom of
the subjects.
C’est lui qui m’a appris à me
consacrer résolument à la philosophie; à être bienfaisant; à donner sans me
lasser; à garder toujours bonne espérance; à faire confiance à l’affection de
mes amis; à ne plus rien cacher à ceux qui s’étaient réconciliés, après leur
pardon; à ne pas forcer mes intimes, sans cesse inquiets, à se demander: ‘Que
veut-il? Que ne veut-il pas?’, mais à être toujours net et franc avec eux.
It
was he who taught me to devote myself steadfastly to philosophy; to be
benevolent; to give without growing weary; to always maintain good hope; to
trust the affection of my friends; to no longer hide anything from those who
had reconciled, after their pardon; not to force my (constantly worried) close
friends to wonder, “What does he want? What does he not want?”, but to always
be clear and open with them.
XV De Maxime, j’ai appris ce
que c’est que d’être maître de soi; de ne jamais rester indécis; de supporter
de bon cœur toutes les épreuves, y compris les maladies; de tempérer son
caractère par un mélange d’aménité et de tenue; d’exécuter sans marchander
toutes les obligations qu’on a; d’inspirer à tout le monde la conviction que,
quand on parle, on dit toujours ce qu’on pense, et que, quand on agit, on a
l’intention de bien faire; de ne s’étonner de rien; de ne pas se troubler; de
ne jamais se presser ni se laisser aller à l’indolence; de ne jamais se
déconcerter dans le désespoir en s’abandonnant soi-même et en s’anéantissant;
ou de ne pas reprendre trop subitement du courage et une confiance exagérée;
d’être serviable et prompt à l’indulgence; en un mot, de donner de soi plutôt
l’idée d’un homme qui ne change pas que celle d’un homme qui se réforme, de
quelqu’un dont jamais personne n’a dû croire être dédaigné, et à qui personne
ne s’est jamais cru supérieur; enfin de tâcher d’être amical envers tout le
monde.
XV
From Maximus, I learned what it is to be master of oneself; to never remain
undecided; to bear all trials willingly, including diseases; to temper one’s
character with a mixture of amenity and manners; to carry out all the
obligations one has without haggling; to fill everyone with the conviction
that, when one speaks, one always says what one thinks, and that, when one
acts, one intends to do well; not to be surprised at anything; not to become
flustered; to never hurry or give oneself over to indolence; to never be
disconcerted in despair by letting oneself go and by destroying oneself; or not
to regain courage and an exaggerated confidence too suddenly; to be helpful and
turn readily to forbearance; in a word, to give the idea of a man who does not
change rather than that of a man who reforms, of someone whom no one has ever
thought to be despised, and whom no one ever considered superior; finally, to
try to be friendly towards everyone.
XVI De mon père adoptif, j’ai
appris la bonté; l’inébranlable constance dans les jugements qui ont été mûris
par la réflexion; le dédain pour ces honneurs factices qui séduisent la vanité;
la passion du travail; l’application perpétuelle; la disposition à prêter
l’oreille à toutes les idées qui concernent l’intérêt public; la capacité
inébranlable à rendre à chacun selon son mérite; le discernement à juger des
occasions où l’on doit tendre les ressorts et de celles où on peut les
relâcher; la sévérité à poursuivre et à punir les amours pour les jeunes gens;
le dévouement au bien de l’Etat.
XVI
From my adoptive father, I learned kindness; unshakable constancy in judgments
that have been ripened by reflection; disdain for those artificial honours that
appeal to vanity; passion for work; perpetual application; the willingness to
listen to all ideas that concern the public interest; the unwavering ability to
give to each according to merit; the discernment to judge the occasions when
one must stretch the springs and those when one can loosen them; the sternness
to prosecute and punish loves for young people; devotion to the good of the
state.
J’ai pu observer la liberté
qu’il laissait à ses amis, sans les astreindre nécessairement à partager tous
ses repas, ou à le suivre dans tous ses voyages; l’absolue égalité d’humeur,
même quand il rencontrait des gens après une longue absence; la consciencieuse
analyse des choses dans toutes les délibérations; la persistance à ne pas se
départir de son examen, en se contentant des premières solutions qui se
présentaient; le dévouement à ses amis — aussi peu porté à se dégoûter d’eux
sans raison qu’à les aimer avec ferveur; l’indépendance d’esprit en toutes
choses, et la sérénité; la prévoyance à longue vue et la vigilance à régler les
moindres détails, sans en faire tragiquement étalage; la précaution de
repousser les acclamations populaires et la flatterie sous toutes ses formes;
l’économie à ménager les ressources nécessaires à la gouvernance; la retenue
dans les dépenses pour les fêtes, tout prêt à souffrir les critiques sur ce
chapitre; la piété sans superstition envers les dieux; le respect pour le
peuple, qu’il ne fatigua jamais de ses adulations ni de son empressement à
complaire à la foule; la sobre mesure en toutes choses; le solide respect de
toutes les convenances, sans un goût trop vif pour les nouveautés; l’usage,
sans faste et aussi sans façon, des choses qui rendent la vie plus douce, dans
les occasions où c’est le hasard qui les offre, les prenant quand elles se
trouvaient sous la main avec indifférence, et n’en ayant nul besoin, si elles
venaient à manquer; l’attitude de quelqu’un dont on ne peut dire ni qu’il est
un sophiste, ni qu’il est un provincial, ni qu’il est entiché de la scolarité,
mais d’un homme dont on dit qu’il est mûr et complet, au-dessus de la
flatterie, capable de gérer ses affaires propres, et des affaires des autres.
I
was able to observe the liberty that he allowed his friends, without
necessarily compelling them to share all his meals, or to follow him on all his
voyages; absolute evenness of temper, even when meeting people after a long
absence; the conscientious analysis of things in all deliberations; the persistence
to not stray from his examination, by contenting himself with the first
solutions that presented themselves; devotion to his friends — as little
inclined to get sick of them for no reason as to love them fervently;
independence of mind in all things, and serenity; far-sighted foresight and the
vigilance to look after the smallest details, without tragically making a show
of it; the precaution of repelling popular acclamations and flattery in all its
forms; the economy to use the resources necessary for governance sparingly;
restraint in the expenses for celebrations, always ready to suffer the
criticisms in this regard; piety without superstition towards the gods; respect
for the people, that he never tired of his adulations or his eagerness to try to
please the crowd; sober measure in all things; solid respect for all
proprieties, without a too lively taste for novelties; the use, without pomp
and also without pretention, of the things that make life sweeter, on the
occasions when it is chance that offers them, taking them with indifference
when they came to be close at hand, and having no need of them if they were
lacking; the attitude of someone about whom it cannot be said that he is a
sophist, nor that he is a provincial, nor that he is infatuated with schooling,
but of a man about whom it is said that he is mature and complete, above
flattery, capable of managing his own affairs, and the affairs of others.
Ajoutez-y encore l’estime pour
les vrais philosophes; l’indulgence exempte de blâme pour les philosophes
prétendus, sans d’ailleurs être jamais leur dupe; le commerce facile; la bonne
grâce sans fadeur; un soin modéré de sa personne, comme il convient quand on
n’est pas trop amoureux de la vie, sans songer à rehausser ses avantages, mais
aussi sans négligence, de manière à n’avoir presque jamais besoin, grâce à ce
régime tout individuel, ni de médecine, ni de remèdes intérieurs ou extérieurs;
la facilité extrême à s’effacer, sans jalousie, devant les gens qui s’étaient
acquis une supériorité quelconque, soit en éloquence, soit en connaissance
approfondie des lois, des mœurs, et des matières de cet ordre; la
condescendance qui s’associait à leurs efforts pour les faire valoir, chacun
dans leur domaine spécial; la fidélité en toutes choses aux traditions des
ancêtres, sans d’ailleurs vouloir se donner l’air d’y tenir; un esprit qui
n’était ni mobile, ni agité, mais sachant endurer la monotonie des lieux et des
choses; reprenant les occupations habituelles, dès que le permettaient les maux
de tête cruels, avec plus d’ardeur et de vivacité que jamais; n’ayant pas
beaucoup de secrets qui lui appartinssent, et ces secrets en très petit nombre
et fort rares ne concernant guère que l’Etat; circonspect et très regardant
dans la célébration des fêtes solennelles, dans le développement des travaux
publics, dans les distributions au peuple; et quand il les croyait nécessaires,
ayant en vue ce que la convenance exigeait bien plutôt que le renom qu’il en
pourrait retirer pour ce qu’il aurait fait; ne prenant jamais de bains hors des
heures régulières; sans passion pour les bâtisses; ne songeant nullement à la
composition de ses repas, ni à la qualité ou à la couleur de ses habits, ni à
la beauté de ses gens.
Add
to this esteem for true philosophers; leniency free from blame for the
so-called philosophers, without ever being their dupe mind you; easy dealings;
good grace without dullness; a moderate care of himself, as it should be when
one is not too much in love with life, without thinking of enhancing his advantages,
but also without negligence, so as to almost never have any need, thanks to
this very individual regime, neither of medicine, nor of internal or external
remedies; the extreme ease of stepping aside, without jealousy, in the presence
of persons who had acquired some sort of superiority, whether in eloquence, or
in detailed knowledge of laws, morals, and matters of that kind; the
condescension that goes with their efforts to enunciate them, each in their
special domain; in all things, faithfulness to the traditions of the ancestors,
without, moreover, wishing to appear to be insisting on this; a mind that was
neither mobile nor agitated, but capable of enduring the monotony of places and
things; resuming the usual occupations, as soon as the cruel headaches
permitted, with more ardour and liveliness than ever; not having many secrets
which belonged to him, and these secrets — in very small numbers, and very rare
— scarcely concerning anything other than the state; circumspect and very
cautious in the celebration of solemn festivals, in the development of public
works, in the distributions to the people; and when he thought them necessary,
having in mind what appropriateness really required rather than the renown he
could derive for what he would have done; never taking baths outside regular
hours; without passion for buildings; giving no thought whatsoever to the
composition of his meals, nor to the quality or colour of his clothes, nor to
the beauty of his people.
Ses vêtements étaient faits de
la laine de Lorium, sa petite ferme, et aussi de la laine de Lanuvium; le
manteau qu’il portait à Tusculum avait été emprunté; et toute sa façon était
aussi simple.
His
clothes were made of wool from Lorium, his little farm, and also of wool from
Lanuvium; the coat that he wore at Tusculum was borrowed; and his entire manner
was so simple.
Jamais rien de dur, rien même
de brusque, rien de pressé, et comme dit le proverbe: ‘Jamais jusqu’à la
sueur’; mais toute chose faite avec pleine réflexion, comme à loisir, sans le
moindre trouble, dans un ordre absolu, robustement, et en harmonieux accord
avec toutes les parties.
Never
anything hard, nothing even abrupt, nothing hurried, and as the proverb goes,
‘Never working up a sweat’; but everything done with full reflection, as if at
leisure, without the slightest trouble, in an absolute order, robustly, and in
harmonious correspondence with all parties.
C’est bien à lui que
s’applique cette louange adressée jadis à Socrate: ‘qu’il savait s’abstenir et
jouir de ces choses dont la plupart des hommes ne s’abstiennent qu’à
contrecœur, et dont ils jouissent en s’y abandonnant avec ivresse.’
It
is to him that this praise, formerly addressed to Socrates, applies: ‘that he
knew how to refrain from, and enjoy, those things which most men refrain from
only reluctantly, and which they enjoy by giving themselves over to it with
drunkenness.’
Demeurer fort dans l’une et
l’autre rencontre, conserver constamment sa vigueur et sa tempérance,
n’appartient qu’à l’homme qui a l’âme ferme et invincible, comme fut mon père
durant la maladie de Maxime.
To
remain strong in both encounters, to constantly conserve one’s vigour and
temperance, belongs only to the man who has a firm and invincible soul, as was
my father during Maximus’ illness.
XVII Je dois aux Dieux d’avoir
eu de bons aïeuls, de bons parents, une bonne sœur, de bons maîtres, des
serviteurs, des proches, des connaissances, et des amis, qui tous étaient bons
également presque sans exception.
XVII
I am indebted to the Gods for having had good grandparents, good parents, a
good sister, good teachers, servants, relations, acquaintances, and friends,
all of whom were equally good, almost without exception.
À l’égard d’aucun d’eux, je ne
me suis jamais laissé aller à quelque inconvenance, bien que par disposition
naturelle je fusse assez porté à commettre des fautes de ce genre; mais la
clémence des Dieux a voulu qu’il ne se rencontrât jamais un tel concours de
circonstances qui pût révéler en moi ce mauvais penchant.
With
regard to none of them have I ever allowed myself to indulge in some
impropriety, although by natural disposition, I was rather inclined to commit
such errors; but the clemency of the Gods would have it that such a combination
of circumstances, which could reveal in me this evil penchant, never
transpired.
Grâce à eux encore, j’ai pu ne
pas rester trop longtemps chez la concubine de mon grand-père; j’ai pu sauver
la fleur de ma jeunesse, sans prouver ma virilité avant le bon moment; j’ai pu
même sous ce rapport gagner un peu de temps; vivre sous l’autorité d’un prince
et d’un père qui a pu déraciner tout orgueil en moi, et m’amener à être
convaincu qu’on peut, tout en vivant dans un palais, n’avoir nul besoin ni de
gardes, ni de costumes éclatants, ni de lampes, ni de statues, ni de tout ce
faste inutile, et qu’on peut toujours s’arranger pour se rapprocher le plus
possible de la condition privée, sans avoir pour cela plus de timidité ou de
faiblesse quand il faut donner des ordres au nom de l’intérêt public.
Thanks
to them again, I did not stay too long with my grandfather’s concubine; I was
able to save the flower of my youth, without proving my manhood before the
right time; in this regard, I was even able to gain a little time; to live
under the authority of a prince and a father who was able to root out all pride
in me, and lead me to be convinced that one can, while living in a palace, have
no need of guards, nor bright outfits, nor lamps, nor statues, nor all that
useless pomp, and that one can always arrange things so as to get as close as
possible to the private condition, without having more shyness or weakness for
it, when orders must be given in the name of the public interest.
Les Dieux m’ont aussi donné un
frère dont le caractère était fait pour éveiller ma vigilance sur moi-même, et
qui en même temps faisait mon bonheur par la confiance et l’affection qu’il me
montrait.
The
Gods also gave me a brother, whose character was made to awaken my vigilance
over myself, and who at the same time made me happy by the trust and affection
he showed me.
Grâce à eux aussi, je n’ai pas
éprouvé le malheur d’avoir des enfants gênants ou contrefaits; je ne suis pas
allé au-delà du nécessaire en ce qui concerne la Rhétorique, la Politique, et
tant d’autres études où j’aurais peut-être été retenu plus que de raison, si
j’avais trouvé que j’y fisse de faciles progrès.
Thanks
to them too, I did not experience the misfortune of having troublesome or
deformed children; I did not go further than was necessary in rhetoric, in
politics, and in so many other studies where I would have perhaps been delayed
inordinately, if I had found that I was making easy progress.
Je me suis hâté d’élever tous
les maîtres qui m’avaient éduqué aux honneurs qu’ils me semblaient désirer, et
je ne les ai pas bercés de l’espoir que, puisqu’ils étaient jeunes encore, ce
ne serait que plus tard que je m’occuperais d’eux.
I
hastened to elevate all the teachers who had educated me to the honours that
they seemed to desire, and I did not string them along with the hope that,
since they were still young, it would only be later that I would take care of
them.
Les Dieux m’ont accordé la
faveur de connaître Apollonius, Rusticus, et Maxime, qui m’ont donné l’idée
claire et lumineuse de ce que doit être la vie selon la nature, et qui souvent
m’en ont offert l’exemple dans toute sa réalité.
The
gods accorded me the favour of knowing Apollonius, Rusticus, and Maximus, who
gave me a clear and luminous idea of what life must be according to nature, and
who often gave me an example of this in all its reality.
De telle sorte que, du côté
des Dieux, par leurs bienfaits, leurs secours et leurs inspirations, rien ne me
manque pour vivre comme la nature le veut, et que, si je suis encore loin du
but, je ne puis m’en prendre qu’à moi-même de n’avoir pas écouté leurs
conseils, et je pourrais répéter leurs leçons.
And
so, as far as the Gods are concerned, by their acts of generosity, their help
and their inspirations, I have everything I need to live as nature wants, and
that, if I am still far from the goal, I have only myself to blame, for not
listening to their counsel, and I could repeat their lessons.
Si mon corps a supporté
jusqu’à cette heure les exigences d’une telle vie; si je n’ai touché ni à
Bénédicta, ni à Théodote — ce sont sans doute des noms de serviteurs attachés à
l’intérieur du palais —; si plus tard, livré aux passions de l’amour, j’ai pu
m’en guérir; si dans mes fréquentes colères contre Rusticus, je n’ai jamais
rien fait que je regrette; si ma mère, qui devait mourir dans la fleur de sa
jeunesse, a pu cependant passer ses dernières années avec moi; si jamais dans
les occasions où j’ai voulu secourir quelqu’un dans un besoin d’argent ou dans
tout autre embarras, je ne me suis entendu répondre que je ne pouvais avoir les
fonds nécessaires à mon dessein; si jamais nécessité pareille de recevoir quelque
chose d’autrui n’a pesé à moi; si ma femme est d’une nature modeste,
affectueuse et simple; si j’ai pu rencontrer tant d’excellentes personnes pour
l’éducation de mes enfants; si des remèdes m’ont été révélés dans mes songes,
particulièrement contre les crachements de sang et les vertiges, à Gaëte tout
comme à Chryse; si, dans ma passion pour la philosophie, je ne suis pas tombé
aux mains de quelque sophiste; si je ne me suis pas entêté sur les ouvrages de
quelque écrivain, ou sur la solution des syllogismes, ou sur la recherche des
phénomènes célestes; tant d’avantages ne peuvent venir qu’avec l’aide des Dieux
et des grâces qu’ils daignent accorder.
If
my body has, until this time, withstood the demands of such a life; if I have
touched neither Benedicta nor Theodotus — these are no doubt the names of
servants attached to the interior of the palace —; if later, delivered to the
passions of love, I was able to cure myself; if in my frequent bouts of rage
against Rusticus, I have never done anything that I regret; if my mother, who
was to die in the bloom of her youth, was able, however, to pass her last years
with me; if, on the occasions when I have wanted to help someone in need of
money, or in any other difficulty, I have never heard myself say that I was not
able to have the funds necessary for my purpose; if the need to receive
anything of the kind from others has never weighed on me; if my wife is of an
unassuming, affectionate and simple nature; if I was able to come across so
many excellent people for the education of my children; if remedies have been
revealed to me in my dreams, especially against the coughing up of blood and
vertigo, at Gaeta as well as at Chryse; if, in my passion for philosophy, I
have not fallen into the hands of some sophist; if I did not get hung up on the
works of some writer, or on the solution of syllogisms, or on the quest for
celestial phenomena; so many advantages can come only with the help of the Gods
and from the graces they deign to grant.
Écrit chez les Quades, au bord
du rivière Granoua.
Written in the land of the Quadi, beside the Gran
river.
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