Great Expectations Vol.2
Les Grandes
Espérances Vol.2
(French)
Author: Charles
Dickens 1861
Translator: Charles
Bernard-Derosne 1896
Translator/Editor: Nik Marcel 2016
English translated from French.
Copyright
© 2018 Nik Marcel
All
rights reserved.
A Bilingual (Dual-Language) Project
2Language Books
Les Grandes Espérances Vol.2
Chapitre 1
Le jour indiqué, je me rendis chez miss Havisham. Je sonnai avec
beaucoup d’hésitation, et Estelle parut.
Elle ferma le portail à clé après m’avoir fait entrer, et, comme la
première fois, elle me précéda dans le sombre corridor où brûlait la bougie.
Elle ne parut faire attention à moi que lorsqu’elle eut la lumière dans
la main; alors elle me dit avec hauteur: — Tu vas passer par ici aujourd’hui.
Elle me conduisit dans une partie de la maison qui m’était complètement
inconnue.
Le corridor était très long, et semblait faire tout le tour de Manor
House.
À l’une des extrémités, elle s’arrêta, déposa sa bougie à terre et
ouvrit une porte.
Ici, le jour reparut, et je me trouvai dans une petite cour pavée, dont
la partie opposée était occupée par une maison individuelle, qui avait dû
appartenir au directeur de la brasserie.
Il y avait une horloge au mur extérieur de cette maison.
Comme la pendule de la chambre de miss Havisham, et comme la montre de
miss Havisham, cette horloge était arrêtée à neuf heures moins vingt minutes.
Nous entrâmes par une porte qui se trouvait ouverte.
Il y avait quelques personnes dans la chambre. Estelle se joignit à
elles en me disant: — Tu vas rester là, mon garçon, jusqu’à ce qu’on ait besoin
de toi.
‘Là’ était la fenêtre. Je restai ‘là, dans un état d’esprit très
désagréable, et regardant au dehors.
La fenêtre donnait sur un coin du jardin misérable et très négligé.
Il était tombé un peu de neige pendant la nuit; partout ailleurs elle
avait disparu, mais là elle n’était pas encore entièrement fondue.
Je m’aperçus que mon arrivée avait arrêté la conversation, et que les
personnes qui se trouvaient réunies dans cette pièce avaient les yeux fixés sur
moi.
Il y avait trois femmes et un monsieur dans la chambre.
Une femme, qui avait nom Camille, me rappelait ma sœur.
— Pauvre chère âme! dit cette femme. Chaque homme est son propre pire
ennemi!
— Il serait bien plus raisonnable d’être l’ennemie de quelqu’un d’autre,
dit le monsieur; bien plus naturel!
— Mon cousin Raymond, observa une autre femme, nous devons aimer notre
prochain.
— Sarah Pocket, repartit le cousin Raymond, si un homme n’est pas son
propre prochain, alors qui l’est?
Mlle Pocket se mit à rire. Camille rit aussi, et elle dit en réprimant
un bâillement: — Quelle drôle d’idée!
L’autre femme, qui n’avait pas encore parlé, dit avec emphase et
gravité: — C’est vrai! C’est bien vrai!
Le bruit d’une sonnette lointaine, mêlé à l’écho d’un appel venant du
couloir par lequel j’étais arrivé, interrompit la conversation.
— Allons, mon garçon! dit Estelle.
Quand je me retournai, ils me regardèrent tous avec le plus grand
mépris, et, en sortant, j’entendis Sarah Pocket dire: — J’en suis certaine. Et
puis après?
Et Camille ajouta avec indignation: A-t-on jamais vu pareille chose?!
Quelle drôle d’idée!
Comme nous avancions dans le passage obscur, Estelle s’arrêta tout à
coup. Elle me dit d’un ton railleur en mettant son visage tout près du mien: —
Eh bien?
— Eh bien, mademoiselle? dis-je en me reculant.
Elle me regardait, et moi, je la regardais aussi, bien entendu.
— Suis-je jolie?
— Oui, je vous trouve très jolie.
— Suis-je fière?
— Pas autant que la dernière fois, dis-je.
— Pas autant?
— Non.
Elle me frappa au visage de toutes ses forces.
— Maintenant, dit-elle, vilain petit monstre, que penses-tu de moi?
— Je ne vous le dirai pas.
— Parce que tu vas le dire là-haut.... Est-ce cela?
— Non! répondis-je, ce n’est pas cela.
— Pourquoi ne pleures-tu pas, petit misérable?
— Parce que je ne pleurerai plus jamais pour vous, dis-je.
C’était la déclaration la plus fausse qui ait jamais été faite.
Nous continuâmes notre chemin, et, en montant, nous rencontrâmes un
monsieur qui descendait à tâtons.
— Qui est là? demanda le monsieur.
— Un garçon, dit Estelle.
C’était un gros homme, au teint brun, avec une grosse tête et avec de
très grosses mains.
— Tu es de la région? demanda-t-il.
— Oui, monsieur, répondis-je.
— Pourquoi viens-tu ici?
— C’est miss Havisham qui m’a envoyé chercher, monsieur.
— Bien. Conduis-toi bien. Je connais les garçons.
Là-dessus, il continua à descendre l’escalier.
Je me demandais si ce n’était pas un docteur; mais non, pensai-je, ce ne
peut pas être un docteur. Un docteur aurait des manières plus agréables.
Je n’eus pas grand temps pour réfléchir à ce sujet, car nous nous
trouvâmes bientôt dans la chambre de miss Havisham, où elle et tous les objets
qui l’entouraient étaient exactement comme je les avais laissés.
Estelle me laissa debout près de la porte, et j’y restai jusqu’à ce que
miss Havisham jetât les yeux sur moi.
— Ainsi donc, dit-elle sans la moindre surprise, les six jours se sont
écoulés?
— Oui, madame, aujourd’hui, c’est…
— Là!... là!... là!... dit-elle avec son impatient mouvement de doigts,
je n’ai pas besoin de le savoir. Es-tu prêt à jouer?
— Je ne le pense pas, madame, dis-je.
— Pas même aux cartes? demanda-t-elle avec un regard pénétrant.
— Si, madame, je puis faire cela, si c’est nécessaire.
— Puisque cette maison te semble vieille et triste, dit miss Havisham
avec impatience, et puisque tu ne veux pas jouer, veux-tu travailler?
Je dis que j’aimerais bien travailler.
— Alors, entre dans cette chambre, dit-elle en me montrant une porte qui
était derrière moi, et attends-moi là.
Je traversai le palier, et j’entrai dans la chambre qu’elle m’avait
indiquée.
Le jour ne pénétrait pas plus dans cette chambre que dans l’autre, et il
y régnait une odeur de renfermé qui oppressait.
On venait tout récemment d’allumer du feu dans la vieille cheminée, mais
il était plus disposé à s’éteindre qu’à brûler, et la fumée semblait encore
plus froide que l’air.
Quelques bouts de chandelles placés sur une tablette éclairaient
faiblement la chambre.
Elle était spacieuse, et j’ose affirmer qu’elle avait été belle; mais
tous les objets qu’on pouvait apercevoir étaient couverts de poussière, et
tombaient en morceaux.
L’objet le plus saillant était une longue table couverte d’une nappe,
comme si la fête qu’on était en train de préparer dans la maison s’était
arrêtée en même temps que les pendules.
Un ornement quelconque occupait le centre de la table; mais il était
tellement couvert de toiles d’araignées, qu’on n’en pouvait distinguer la
forme.
J’entendais aussi les souris qui couraient derrière les panneaux en
bois, comme si elles eussent été sous le coup de quelque grand événement; mais
les scarabées n’y prêtaient aucune attention, et s’avançaient en tâtonnant sur
le plancher.
Ces créatures rampantes avaient capturé mon attention, et je les
regardais à distance, quand miss Havisham posa une de ses mains sur mon épaule.
Elle tenait aussi une canne, sur laquelle elle s’appuyait.
— C’est ici, dit-elle en indiquant la table du bout de sa canne; c’est
ici que je serai exposée après ma mort. C’est ici qu’on viendra me voir.
— Que penses-tu de l’objet qui est au milieu de cette grande table? me
demanda-t-elle en l’indiquant encore avec sa canne. Là, où tu vois des toiles
d’araignées.
— Je ne sais pas ce que c’est, madame.
— C’est un grand gâteau. C’est un gâteau de noces. C’est le mien!
Elle regarda autour de la chambre, sans ôter sa main de mon épaule.
— Viens!... viens!... viens! Promène-moi... promène-moi! dit-elle.
Je jugeai d’après cela que l’ouvrage que j’avais à faire était de
promener miss Havisham tout autour de la chambre.
En conséquence, nous commençâmes à marcher.
Elle n’était pas forte physiquement; et après un court moment elle me
dit: Plus doucement!
Cependant nous continuions à marcher à une vitesse raisonnable.
Elle avait toujours sa main appuyée sur mon épaule.
Après un certain temps, elle me dit: Appelle Estelle!
J’allai sur le palier et je criai ce nom comme j’avais fait la première
fois.
Quand sa lumière apparut, je revins auprès de miss Havisham, et nous
recommençâmes à marcher.
Si Estelle avait été la seule spectatrice, je me serais senti
suffisamment humilié; mais comme elle amena avec elle les trois femmes et le
monsieur que j’avais vus en bas, je ne savais que faire.
— Chère miss Havisham, dit miss Sarah Pocket, vous avez l’air bien!
— Ça n’est pas vrai! dit miss Havisham, je suis jaune et n’ai que la
peau sur les os.
Camille rayonna en voyant miss Pocket recevoir cette rebuffade, et elle
murmura en contemplant miss Havisham: — Pauvre chère âme! certainement, il ne
faut pas s’attendre à ce qu’elle ait l’air bien, la pauvre créature. Quelle
drôle d’idée!
— Et vous, comment allez-vous ces jours-ci? demanda miss Havisham à
Camille.
Nous étions tout près de cette dernière, et j’allais en profiter pour
m’arrêter; mais miss Havisham ne le voulait pas; nous poursuivîmes donc, et je
sentis que je déplaisais considérablement à Camille.
— Merci, miss Havisham, répondit-elle, je suis aussi bien que je puis
espérer de l’être.
— Comment cela? Qu’avez-vous? demanda miss Havisham, avec une vivacité
surprenante.
— Rien qui vaille la peine d’être dit, répliqua Camille. Je ne veux pas
être mélodramatique, mais j’ai pensé à vous toute la nuit.
— Alors, ne pensez pas à moi, dit miss Havisham.
— C’est plus facile à dire qu’à faire! répondit tendrement Camille,
tandis que sa lèvre supérieure tremblait et que ses larmes coulaient en abondance.
Raymond sait combien de gingembre j’ai été obligée de prendre la nuit,
et combien de mouvements nerveux j’ai éprouvés dans mes jambes.
Mais tout cela n’est rien quand je pense à ceux que j’aime.
Si je pouvais être moins affectueuse et moins sensible, j’aurais une
meilleure digestion et des nerfs d’acier.
Je voudrais bien qu’il en fût ainsi; mais, quant à ne plus penser à vous
pendant la nuit... quelle drôle d’idée!!
Ici, elle éclata en sanglots.
Je compris que le Raymond en question n’était autre que le monsieur
présent, et qu’il était en même temps M. Camille.
Il vint au secours de sa femme, et lui dit en manière de consolation: —
Camille, ma chère, c’est un fait avéré que vos sentiments de famille vous
minent, au point de rendre une de vos jambes plus courte que l’autre.
— Je ne savais pas, dit la grave femme, dont je n’avais encore entendu
la voix qu’une seule fois, que penser à une personne vous donnât des droits sur
cette même personne, ma chère.
Miss Sarah Pocket répétait sans cesse: — Non, en vérité, ma chère. Hum!
Hum!
— Penser, c’est une chose assez facile à faire, dit la grave femme.
— Quoi de plus facile? appuya miss Sarah Pocket.
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