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Nik Marcel (2Language Books)

Thursday 25 October 2018

Meditations Books 7-12 (French)


Meditations Books 7-12
Pensées pour moi-même
(Thoughts to Myself)
(French)
Author: Marcus Aurelius 170-180
French Translator: Jules Barthélemy-Saint-Hilaire 1876
Translator/Editor: Nik Marcel 2018
English translated from French.
Copyright © 2018 Nik Marcel
All rights reserved.
A Bilingual (Dual-Language) Project
2Language Books

Méditations Livres 7-12

Pensées pour moi-même

Livre 7

I Qu’est-ce que le vice? C’est ce que tu as vu cent fois dans ta vie. Et ce n’est pas seulement par rapport au mal, mais aussi par rapport à tout ce qui t’arrive, que tu peux te dire que ce sont là des choses que tu as déjà vues mille fois.
De tous côtés, en haut, en bas, il n’y a que répétition de choses semblables, remplissant les histoires des âges reculés, les histoires des temps plus récents, les histoires contemporaines, et remplissant, au moment même où nous parlons, nos cités et nos maisons.
C’est qu’il n’y a rien de nouveau dans le monde, et toutes les choses sont tout ensemble habituelles et passagères.
II Comment pourrais-tu faire mourir en toi les jugements que tu formes, autrement qu’en éteignant les impressions sensibles qui y correspondent, et qu’il ne tient absolument qu’à toi de raviver?
Le cas échéant, je peux toujours former des opinions fondées sur des impressions particulières; et, du moment que je le puis, pourquoi devrais-je m’inquiéter?
Puisque les choses extérieures ne résident pas dans l’esprit, elles n’ont rien à voir avec l’esprit lui-même. Sois donc dans cette disposition; et te voilà dans le vrai. Tu peux alors te faire une vie nouvelle.
Examine encore une fois les choses comme tu les as vues naguère; car c’est là précisément se faire une nouvelle vie.
i.) Comment pourrais-tu faire mourir en toi les jugements. Comment pourrais-tu suspendre tes jugements?
ii.) Qu’il ne tient absolument qu’à toi de raviver. Du moment qu’on peut raviver des impressions, il est sous-entendu par là même qu’on peut aussi ne les raviver pas.
iii.) Elles n’ont rien à voir avec l’esprit lui-même. Voir volume précédent, livre VI, #52.
iv.) Se faire une nouvelle vie. En substituant l’action de la volonté raisonnable et réfléchie à la pensée instinctive, qui a suivi immédiatement l’impression sensible.
III Les vains raffinements du luxe, les pièces jouées au théâtre, ces immenses assemblées, ces troupeaux, ces combats de gladiateurs, tout cela est comme un os jeté aux chiens, comme un morceau de pain lancé aux poissons du vivier, comme les labeurs des fourmis s’épuisant à traîner leur fardeau, comme les courses extravagantes des souris effarées, comme des marionnettes qu’un fil fait mouvoir.
Dans le contexte de toutes ces séductions, il faut savoir conserver son cœur parfaitement calme, et ne pas montrer non plus un mépris trop altier.
Mais du moins, tu peux en tirer cette conséquence que l’homme ne vaut que par les choses auxquelles il accorde son attention.
i.) Ces immenses assemblées, ces troupeaux. La plupart des traducteurs ont compris ce passage différemment. Selon eux, il s’agit ici de grands troupeaux de bêtes domestiques, de moutons et de bœufs. Le contexte ne se prête pas à ce sens; et je préfère entendre le mot de Troupeaux avec la même nuance d’ironie que nous y attachons, quand nous parlons de ces troupeaux d’hommes assemblés pour quelque fête publique, pièces de théâtre, combats de gladiateurs. Il me semble que la pensée ainsi comprise a plus d’unité et de teneur.
ii.) L’homme ne vaut que par les choses. L’observation est très juste; et l’on peut juger quelqu’un par les amusements et les distractions qu’il apprécie.
IV S’il s’agit d’un discours, il faut regarder à chaque mot; s’il est question d’un acte, il faut regarder à l’intention.
Dans ce dernier cas, il importe tout d’abord d’apprécier le but que l’agent poursuivait, de même que, dans l’autre, il ne faut apprécier que l’expression dont on s’est servi.
V Mon intelligence suffit-elle, ou ne suffit-elle pas pour faire une chose que je désire?
Si elle suffit, je m’en sers pour accomplir mon œuvre, comme d’un instrument que m’a donné la nature qui régit l’univers.
Si mon intelligence à elle seule ne suffit pas, ou je laisse le travail à quelqu’un qui peut l’exécuter mieux que moi, à moins que ce ne soit mon devoir de le faire personnellement; ou bien, je le fais dans la mesure de mes moyens, en m’adjoignant un aide, qui, sous ma direction, peut en se réunissant à moi, satisfaire en temps opportun à ce qu’exige l’utilité commune; car ce que je fais, à moi seul ou avec le secours d’un autre, ne doit jamais avoir qu’un seul but: l’intérêt commun et la bonne harmonie du monde.
VI Combien d’hommes jadis célèbres dans le monde entier sont déjà livrés à l’oubli! Combien de gens qui les ont célébrés sont depuis longtemps disparus!
VII N’aie pas honte de recevoir l’aide d’autrui; car ton but, c’est d’accomplir le devoir qui t’incombe, comme un soldat qui monte à l’assaut.
Eh bien, que ferais-tu si, blessé à la jambe, tu ne pouvais à toi seul franchir la brèche, mais que tu le pusses avec l’aide d’un autre?
VIII Que l’avenir ne te trouble pas; tu l’aborderas, s’il le faut, en appliquant cette même raison qui t’éclaire sur les choses dans le présent.
IX Toutes les choses sont entrelacées les unes avec les autres; leur enchaînement mutuel est sacré; et il n’y a rien, pour ainsi dire, qui ne soit pas connecté à autre chose. Toutes les choses sont reliées entre elles; et elles contribuent au bon ordre du même univers.
Dans son unité, ce monde renferme tous les êtres sans exception; Dieu, qui est partout, est Un; la substance est Une; la loi est Une également; la raison, qui a été donnée à tous les êtres intelligents, leur est commune; enfin la vérité est Une, de même qu’il n’y a qu’une seule et unique perfection pour tous les êtres d’espèce pareille, et pour tous ceux qui participent à la même raison.
X Tout ce qui est matériel disparaît en un instant dans la substance universelle; toute cause rentre en un instant dans la raison qui gouverne l’univers; en un instant aussi, la mémoire de tout ce qui fut est engloutie dans l’éternité.
i.) Toute cause. Il n’est pas certain que Marc-Aurèle inclue dans cette formule générale la cause volontaire et libre que nous sommes. Mais on ne saurait affirmer non plus qu’il fasse une exception pour l’individualisme humain, et qu’il ne l’absorbe pas dans la raison qui gouverne l’univers.
XI Aux yeux de l’être raisonnable, toute action qui est conforme à la nature n’est pas moins conforme à la raison.
XII Droit, ou redressé.
i.) Droit, ou redressé. Il est assez probable que ce n’est là qu’une note, que Marc-Aurèle comptait développer plus tard. Mais la pensée est très claire, malgré la concision des mots. Il faut que l’homme marche droit dans la voie du bien; ou, s’il s’égare, il doit redresser sa route.
XIII De même que, dans les êtres individuels, les membres du corps ont entre eux une certaine relation; de même, les êtres raisonnables ont, malgré leur isolement, un rapport analogue, parce qu’ils sont faits pour coopérer à un seul et même but.
Cette pensée acquerra d’autant plus de poids dans ton esprit, si tu te dis souvent à toi-même: ‘Je suis un membre de la famille des êtres raisonnables.’
Si tu disais seulement: ‘Je suis une partie et non pas un membre proprement dit’, c’est que tu n’aimerais pas encore les hommes du fond du cœur; c’est que faire le bien ne te causerait pas ce plaisir que donne un acte dont on a pleine conscience. Tu le fais simplement parce qu’il est convenable de le faire; mais tu ne le fais pas afin d’accomplir le bien qui t’est propre.
i.) Malgré leur isolement. Il s’agit simplement de l’isolement matériel, chaque être existant nécessairement en soi et pour soi. Le rapport entre les êtres raisonnables est essentiellement un rapport moral.
ii.) Le bien qui t’est propre. L’égoïsme ainsi entendu n’est pas blâmable; mais, au fond, c’est à peine de l’égoïsme.
XIV Que ce qui veut arriver du dehors, arrive, à ces portions de mon être qui peuvent ressentir ces sortes d’accidents; ce qui en moi souffrira pourra se plaindre, s’il le juge approprié. Mais quant à moi, si je ne pense pas que ce qui m’arrive soit un mal, je n’en suis pas atteint; or il m’est toujours possible de concevoir cette pensée.
i.) Ce qui en moi souffrira. C’est le corps, que l’âme peut distinguer profondément d’elle-même, et dont elle peut s’isoler presque absolument.
ii.) Il m’est toujours possible de concevoir cette pensée. Voir volume précédent, livre IV, #7. La maxime est pratique; mais elle est fort difficile à appliquer: il faut joindre à un long exercice une grande force d’âme, pour faire taire la sensibilité et n’écouter que la raison. C’est là toute la doctrine stoïcienne.
XV Quoi qu’on me dise, quoi qu’on me fasse, c’est mon devoir d’être toujours homme de bien. C’est ainsi que l’or, ou l’émeraude, ou la pourpre peut toujours se dire: ‘Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, il est essentiel que je sois émeraude, et que je conserve la couleur que j’ai.’
i.) L’or, l’émeraude, la pourpre. Marc-Aurèle cherche les matières les plus belles et les plus précieuses, quoiqu’il sache bien que rien dans la nature ne peut égaler la conscience, avec ses puissances, ses splendeurs et son prix inestimables.
XVI Le principe qui nous gouverne ne se donne jamais à lui-même le trouble d’aucune passion; par exemple, la passion de la crainte, qu’il s’infligerait de son plein gré.
Mais si quelque chose d’autre peut lui causer frayeur ou chagrin, qu’il le fasse; car ce n’est pas ce principe supérieur qui se précipitera spontanément vers ces désordres.
C’est au corps de s’arranger lui-même pour ne pas souffrir, comme c’est à lui de dire ce qu’il souffre.
Quant à l’esprit, qui éprouve la frayeur ou la tristesse, et qui, d’une manière générale, conçoit la pensée de toutes ces sensations, qu’elle ne souffre pas de quelque manière que ce soit; car tu ne lui permettras pas de porter ces jugements erronés.
Le principe directeur peut être indépendant, dans tout ce qui le regarde, à moins qu’il ne se mette lui-même dans la dépendance de quelque besoin. Il peut à cet égard être toujours sans trouble et sans embarras, tant qu’il ne se trouble pas et ne s’embarrasse pas lui-même.
XVII Le bonheur, c’est d’avoir un bon génie; c’est de faire le bien. Que viens-tu donc faire ici, ô imagination aux décevantes apparences?
Va-t-en, au nom des Dieux, ainsi que tu es venue. Je n’ai que faire de toi. Tu es arrivée en moi, je le sais, par une habitude bien ancienne; aussi je ne t’en veux pas. Seulement, retire-toi.
i.) Un bon génie. On pourrait dire, en prenant un langage qui serait le nôtre plus particulièrement: ‘Une bonne conscience.’ On peut croire que cette expression de Génie, qu’emploie si souvent Marc-Aurèle, n’est qu’une tradition socratique recueillie par le Stoïcisme. Le génie, le démon de Socrate n’est que sa conscience.
ii.) Aux décevantes apparences. C’est la paraphrase du mot grec, dont le mot d’Imagination n’aurait pas à lui seul rendu toute la force.
XVIII Est-il possible que l’homme redoute le changement? Et quelle chose peut se faire au monde sans qu’un changement n’ait lieu? Qu’y a-t-il de plus agréable, de plus familier à la nature de l’univers entier?
Peux-tu prendre un bain, sans que le bois qui le chauffe ne se transforme et ne change? Peux-tu manger, sans qu’il n’y ait un changement dans les aliments qui doivent te nourrir? Une chose utile quelconque peut-elle s’accomplir sans un changement correspondant?
Ne comprends-tu donc pas que le changement qui t’atteint toi-même est tout pareil, et que ce changement est aussi de toute nécessité dans la nature des choses?
i.) Redoute le changement. La fin du paragraphe indique dans quel sens il faut entendre le changement. Il est clair qu’il s’agit ici de la mort. L’homme ne doit pas plus s’en étonner, ni la craindre, s’il ne s’étonne du changement dans l’univers entier. C’est la loi des choses, et il en est atteint comme tout le reste. L’âme elle-même change aussi, puisqu’elle est séparée enfin du corps, après avoir été si longtemps et si intimement unie avec lui.
ii.) Le changement qui t’atteint toi-même. Voilà le point essentiel de ce paragraphe. Le changement dans l’homme peut être ou la vieillesse ou la mort. La vieillesse, quand on en observe sur soi-même les progrès, n’est qu’un apprentissage successif de la mort; c’est un triste mais grand spectacle, que chacun de nous peut se donner, aussi souvent qu’il le veut. Sénèque a dit en termes magnifiques: ‘Regardez donc sans peur cette heure fatale, qui est la dernière du corps et non point la dernière de l’âme. Considérez tous les biens qui vous environnent comme les biens d’une hôtellerie où vous passez.’ Epître CII, à Lucilius.
XIX Tous les corps, quels qu’ils soient, sont entraînés dans la substance universelle, comme dans un irrésistible torrent, de même nature que le tout, coopérant à l’œuvre commune, comme nos organes se correspondent entre eux.
Combien de Chrysippes, combien d’Epictètes, le temps n’a-t-il pas déjà engloutis?! Le même sort attend tout homme et toute chose, quels qu’ils puissent être.
i.) Dans un irrésistible torrent. Voir des pensées analogues, volume précédent, livre IV, #43, et livre V, #23.
XX Je n’ai qu’une préoccupation, c’est de ne jamais faire, de mon plein gré, rien qui soit contraire à la constitution naturelle de l’homme, de ne jamais rien faire autrement que ne le veut cette constitution, ni si elle ne le veut pas, au moment où je le fais.
i.) Rien qui soit contraire à la constitution naturelle de l’homme. C’est, en d’autres termes, la formule stoïcienne: ‘Vivre selon la nature et toujours obéir à ses ordres, suivant les circonstances.’
XXI Tu es bien près de tout oublier; et tout est bien près de te rendre un égal oubli.
XXII C’est une vertu propre de l’homme d’aimer ceux mêmes qui nous offensent. Tu trouveras qu’il est facile d’être indulgent, si tu te rappelles que ces hommes sont des membres de ta famille; que c’est par ignorance, et sans le vouloir, qu’ils commettent ces fautes; que, dans bien peu de temps, vous serez morts les uns et les autres; et, par-dessus tout, tu seras indulgent, si tu te dis que l’offenseur ne t’a fait aucun tort; car il n’a pu pervertir le principe supérieur qui te dirige.
i.) L’offenseur ne t’a fait aucun tort. Cet argument est caractéristique du Stoïcisme. Voir plus loin, #26.
XXIII L’universelle nature façonne la substance universelle comme une cire.
Ainsi, elle en fait tantôt un cheval; et, le dissolvant, elle se sert de sa matière pour créer un arbre; puis, elle se sert de l’arbre, pour en faire tel autre être.
Mais chacun de ces êtres ne subsiste qu’un instant; et il n’est pas plus fâcheux pour un coffre d’être disloqué que d’être construit.
XXIV Un regard furieux est tout à fait contraire à la nature, puisque la physionomie se gâte, et qu’à la fin elle disparaît si complètement que rien ne peut la ramener.
Si cette remarque est vraie, applique-toi à en tirer cette conséquence que la colère elle-même est contraire à la raison; car si l’on perd, en s’y livrant, jusqu’à la conscience de ses fautes, quel motif de vivre pourrait-on encore conserver?
i.) Quel motif de vivre pourrait-on encore conserver? Cette conséquence paraît un peu excessive. Sans doute, il faut fuir la colère, qui gâte le visage et qui bouleverse les facultés de l’esprit. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour perdre tout motif de vivre: ‘Vivendi perdere causas’. Ce qui est vrai, c’est que 1’homme qui a perdu toute conscience de ses fautes est bien près de n’être qu’une brute, où a disparu le sentiment moral, et qu’il vaudrait mieux pour lui n’être pas que d’être ainsi. Peut-être faut-il aussi donner au début de ce paragraphe un sens plus général, et appliquer à l’âme ce qui est dit simplement du visage.
XXV La nature qui ordonne et régit l’univers va dans un instant changer tout ce que tu vois; de la substance de ces êtres, elle en formera d’autres, comme avec la substance de ceux-ci elle en formera d’autres encore, afin que l’univers soit éternellement jeune et nouveau.
i.) La nature qui ordonne et régit l’univers. Cette pensée est toute semblable à celle du #23.
XXVI Si quelqu’un se conduit mal à ton égard, demande-toi quelle idée du bien et du mal a provoqué cette conduite fautive.
De ce point de vue, tu le prendras en pitié, et tu n’éprouveras plus ni surprise ni colère; car, ou bien tu avais toi-même une opinion identique à la sienne, ou une opinion du moins analogue sur ce qu’il était bon de faire; et alors il n’y a qu’à pardonner.
Mais si des fautes de ce genre ne te paraissent ni un bien ni un mal, alors il te sera encore bien plus facile d’être indulgent envers quelqu’un qui n’a que le tort d’avoir de mauvais yeux.
i.) Ni un bien ni un mal. Selon le raisonnement qui a été donné à la fin du #22, l’offenseur ne peut faire moralement aucun mal à l’offensé; il n’y a que nous qui puissions nous nuire, en prenant les choses autrement qu’elles ne doivent être prises.
ii.) Le tort d’avoir de mauvais yeux. Comme un aveugle qui vous heurte. Seulement, ici, il est question des yeux de l’âme.
XXVII Ne pense jamais à ce qui te manque comme si déjà tu l’avais; parmi les choses que tu possèdes, préfère ce qu’il y a de mieux; en les considérant, remets-toi en mémoire les moyens qui devraient te les procurer, si elles venaient à te manquer.
Toutefois, prends bien garde de ne pas contracter l’habitude de les valoriser si fortement que, si quelque jour elles venaient à t’échapper, tu en fusses profondément troublé.
i.) Comme si déjà tu l’avais. Précaution sage, puisque l’objet de nos désirs peut toujours nous manquer.
ii.) Préfère ce qu’il y a de mieux. Remets-toi en mémoire les moyens qui devraient te les procurer. Il est rare, en effet, que les choses valent, quand on les considère de sang-froid, la peine qu’elles ont coûtée. C’est donc un conseil très pratique que donne ici Marc-Aurèle; cependant, comme beaucoup de bons conseils, il est fort utile, et aussi fort difficile; et le désir s’adresse à l’objet qui l’excite plutôt que la raison ne regarde aux obstacles.
iii.) Tu en fusses profondément troublé. La perte des choses nous émeut, en général, plus vivement que l’acquisition, quels que soient les objets de nos espérances ou de nos regrets.
XXVIII Retire-toi souvent en toi-même; car le principe raisonnable qui nous gouverne a cette nature spéciale de pouvoir se suffire absolument à lui seul. En pratiquant la justice, il trouve le repos qu’il cherche.
i.) Retire-toi souvent en toi-même. Le conseil est admirable; et, dans la vie commune, la pratique en est fort utile. Mêler dans une juste mesure la vie intérieure et la vie du dehors, est, même pour les meilleurs esprits, une entreprise fort délicate.
ii.) Le repos. Qu’il faut bien distinguer de l’inertie. Au contraire, le repos bien compris suppose l’action, puisqu’il y a une abondance de.
XXIX Efface les trop vives couleurs des impressions sensibles; apaise l’excitation de tes nerfs; borne-toi au moment actuel; rends-toi bien compte de ce qui arrive, soit à toi, soit à un autre de tes semblables.
Partage et analyse l’objet qui t’occupe, pour y bien distinguer le causal et le matériel. Pense souvent à l’heure suprême. Laisse la faute à qui l’a commise, dans les conditions où il a pu la commettre.
i.) Partage et analyse. Voir cette pensée plus développée, volume précédent, livre III, #11; voir aussi la fin du #21 du livre IV.
ii.) Pense souvent à l’heure suprême. C’est aussi l’avertissement des Chartreux; seulement les Chartreux sont dans une profonde retraite, tandis que Marc-Aurèle reste dans le monde des affaires et ne conseille à personne de s’en isoler complètement.
XXX Prête toute ton attention à ce qu’on te dit; et fait pénétrer ton intelligence dans les faits réels et dans les causes qui les produisent.
i.) Prête toute ton attention à ce qu’on te dit. Recommandation excellente, surtout pour les hommes d’État, chargés de grandes fonctions qui exigent les relations les plus nombreuses, mais applicable également pour chacun de nous, quelque modeste que soit la sphère où nous sommes placés. Voir une recommandation pareille, volume précédent, livre VI, #53.
XXXI Sache embellir ton âme de simplicité, de pudeur, et d’indifférence pour ces choses qui ne sont ni le vice ni la vertu.
Aime le genre humain; obéis à Dieu, et suis-le docilement. Un poète l’a dit: L’univers tout entier est soumis à ses lois.
Les éléments matériels supposent l’existence de Dieu; et il suffit de se rappeler que tout est soumis à une loi régulière. On doit se contenter de ces principes, aussi peu soient-ils.
i.) L’univers tout entier. Il n’y a dans le texte que la fin d’un vers, au lieu du vers complet.
ii.) Les éléments matériels. Le texte en cet endroit est corrompu, sans qu’on puisse le rétablir à l’aide des manuscrits.
XXXII Sur la mort. Si c’est une dispersion des éléments de notre être, c’est, ou résolution en atomes, ou anéantissement, ou extinction, ou transformation.
i.) Si c’est une dispersion des éléments de notre être. Cette restriction de la pensée lui ôte en grande partie le caractère matérialiste qu’elle pourrait avoir. Il est vrai que Marc-Aurèle ne se prononce pas tout à fait pour une solution spiritualiste; mais il ne l’écarte pas, puisqu’il suppose que la mort peut être encore autre chose que la dispersion de tous les éléments de notre être entier. Voir volume précédent, livre VI, #10, et livre VI, #14.
XXXIII Sur la douleur. Si elle est intolérable, elle nous fait sortir de la vie; si elle dure, c’est qu’on peut la supporter.
Notre esprit, concentré en lui-même, conserve néanmoins toute sa tranquillité; et le principe souverain qui nous gouverne n’en est pas altéré; c’est seulement aux parties de notre être affectées par la douleur de nous dire, si elles le peuvent, ce qu’elles éprouvent.
i.) Conserve toute sa tranquillité. C’est un degré d’ascétisme difficile à atteindre; mais il n’est pas impossible d’y arriver, si l’esprit a la force et la persévérance nécessaires.
ii.) Aux parties de notre être affectées par la douleur. Voir une pensée tout à fait analogue, plus haut, #16.
XXXIV Sur l’opinion. Considère un peu ce que sont les esprits des hommes, ce qu’ils fuient, ce qu’ils recherchent; et dis-toi bien que, de même que les dunes de sable en s’amoncelant font disparaître celles qui s’étaient formées d’abord, de même, dans la vie, les événements antérieurs s’effacent aussi en un instant, sous les événements qui ne cessent de s’accumuler après eux.
i.) Sur l’opinion. On pourrait aussi traduire: ‘Sur la gloire’; mais il me semble que la première version s’accorde davantage avec le sens général de ce paragraphe.
ii.) Les dunes de sable. Comparaison neuve et frappante. Elle peut également s’appliquer aux vaines opinions des hommes, aussi mobiles que les sables soulevés par le vent, et à la vaine gloire, qui brille un instant pour disparaître bientôt sous les événements nouveaux qui s’accumulent.
XXXV Extrait de Platon:
— Mais crois-tu que celui dont la pensée est pleine de grandeur, et qui contemple tous les temps et tous les êtres, puisse regarder la vie qu’on passe ici-bas comme quelque chose de bien important?
— C’est impossible.
— Ainsi un tel individu devrait-il considérer que la mort est quelque chose à craindre?
— Non.
i.) Extrait de Platon. Ce fragment est emprunté à la République de Platon, livre VI, traduction de M. V. Cousin, pag. 6. Cette pensée aura frappé Marc-Aurèle, et il se proposait sans doute de la développer lui- même.
XXXVI Sentence d’Antisthène: ‘Quand on fait le bien, c’est chose vraiment royale de s’entendre calomnier.’
XXXVII Il est assez honteux que notre visage nous obéisse docilement, qu’il prenne l’air que nous lui donnons, qu’il réponde si bien aux ordres de notre volonté, et que notre esprit ne sache pas s’obéir à elle-même et se composer à son gré.
XXXVIII ‘À quoi bon s’emporter jamais contre les choses, qui ne font aucun cas de notre vain courroux?’
i.) À quoi bon s’emporter. Citation d’Euripide dans sa tragédie perdue de Bellérophon. Voir les Fragments dans l’édition de Firmin-Didot, frag. 298, pag. 686.
XXXIX ‘Donne-nous le plaisir, aux Dieux ainsi qu’à nous.’
i.) Donne-nous le plaisir. On ne sait à quel poète cette citation est empruntée; placée entre deux autres citations d’Euripide, il est probable qu’elle lui appartient aussi.
XL ‘Nos jours sont moissonnés comme des épis de maïs, dont l’un est déjà mûr quand l’autre est vert à peine.’
i.) Nos jours sont moissonnés. Citation d’Euripide dans sa tragédie perdue d’Hypsipyle, Fragment 752, pag. 799, édition Firmin-Didot.
ii.) Dans le volume précédent, à la fin du livre IV, #XLVIII, Marc-Aurèle a comparé la fin de l’homme à une olive mûre, tombant de l’arbre qui l’a portée.
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